Sous la Restauration, dès 1816, le roi Louis XVIII commande une dizaine de tableaux représentant les grands chefs de la révolte vendéenne qui en 1793 prirent la tête d’une armée de fortune composée de paysans pour défendre la Foi et le roi. C’est bel et bien l’image d’une résistance active, avec ses martyres, que le roi cherche à fixer, à mémorialiser. Le tableau de Jacques Cathelineau, simple roturier devenu premier généralissime de l’armée catholique et royale, est confié à Girodet. Loin de ne livrer qu’un pâle tableau pour assouvir les attentes politiques de la monarchie, le peintre exalte ce destin tragique dans un style où le néo-classicisme s’ouvre à l’aube du romantisme pictural. Un chef-d'œuvre aujourd’hui visible à Cholet, ville profondément marquée par les guerres de Vendée.
Anne-Louis Girodet
Peindre le premier généralissime de l’armée catholique et royale
Comme le tableau de Louis de Lescure réalisé par Robert Lefèvre, le tableau de Cathelineau par Girodet fait partie de la série de tableaux de généraux vendéens commandée par Louis XVIII dès 1816. Le but étant toujours de valoriser les héros de la Contre-révolution, leur résistance, leur courage, leur religiosité et leur sacrifice pour le trône et l’autel.
Toutefois, le portrait de Cathelineau n’est pas sans poser problème… En effet, bien que généralissime de l’Armée catholique et royale, bien que considéré comme saint par certains, cette figure de proue de la révolte vendéenne n’a pas laissé de portrait et ses traits semblent avoir disparus avec lui dans la tombe. En effet, simple roturier, Cathelineau n’avait pas bénéficié de services d’un peintre et sa mort précoce dès 1793 n’avait pas laissé le temps à certains de ses compagnons d’immortaliser son visage. Pour pallier à ce manque de sources, Girodet va faire appel aux témoignages et à la description de témoins ayant bien connu le « saint de l’Anjou ». A l’origine de la commande, le comte de Pradel, directeur général du ministère de la Maison du roi, lui confie ainsi cette description :
« M. Jacques Cathelineau Général :
Vêtu en paysan, grande veste ave grandes poches et culotte gris bleu pâle, gilet croisé de laine blanche, une ceinture de toile blanche dans laquelle était placée une paire de pistolets ; un sabre à la hussarde ; un sacré cœur cousu sur l’habit, sur le cœur ; le Sacré-Cœur est un morceau de drap blanc carré sur lequel est un cœur rouge et une croix noire par-dessus ; un chapelet passé dans plusieurs boutonnières.
Une cravate d’un mouchoir Cholet, violet et blanc, un mouchoir pareil à la tête, noué à la vendéenne. Point de chapeau. Des guêtres de cuir, souliers très communs. Tenant son sabre baissé, montrant de l’autre main, comme signe de ralliement, une croix placée dans le paysage du tableau, de manière à ce que le général Cathelineau ait beaucoup d’énergie et de vivacité ; et la physionomie très douce, mais très animée. On peut faire on portrait sur la figure de son fils qui lui ressemble beaucoup ; mais ses yeux étaient plus grands. Sa physionomie, quoique douce était extrêmement vive et spirituelle ».
L’ensemble de l’arrière-plan semble correspondre à la demande du comte de Pradel, mais les quelques pistes données ont été magnifiées par Girodet. Le coin supérieur gauche du tableau évoque la révolte du peuple vendéen (faux, faucilles et autres armes blanches brandies) réunie au sein de l’armée catholique (croix chrétienne) et royale (drapeau blanc flottant au vent avec pointe de hampe fleurdelisée).
La violence de la République et de ses armées, le tumulte de la révolte et de la bataille, sont symbolisés par le déchainement des forces de la nature : le vent de l’orage pousse les branches, déploie le drapeau, les éclairs déchirent l’arrière-plan et font échos aux salves tirées dans la partie inférieure du tableau d’où se dégage la fumée de la bataille. Cathelineau pointe une main gracieuse et un doigt déterminé vers le champ de bataille, appelant au combat ceux qui le suivent et vers qui il se retourne. Les éclairs forment une ligne parallèle à son bras en passant au niveau de ses yeux, tant et si bien que le généralissime semble diriger la foudre sur les armées républicaines tout en gardant un regard doux, mais électrique. Lui même reste inébranlable, comme les rochers qui l’entourent. L’obscurité de la cape, des nuages dans la partie supérieure, et des rochers dans la partie inférieure, contraste avec sa poitrine offerte à une intense lumière mettant en valeur le sens du combat et du sacrifice de cet homme : les pistolets symbole de la révolte vendéenne pour défendre la Foi (incarnée par le chapelet) et rétablir le roi sur le trône (symbolisé par l’écharpe blanche).
En conclusion, Girodet a utilisé pour ce tableau des éléments semble-t-il authentiques, du moins tels qu’on les lui avait rapportés par l’intermédiaire du comte de Pradel. Mais les détails portent un message qui le rend bien plus riche qu’un simple cliché historique : sans qu’aucun autre combattant n’apparaisse, Girodet réussit à évoquer la violence et les desseins des Guerres de Vendée, le tumulte de la révolte et de la guerre. Dans ces heures sombres où règne l’obscurité Cathelineau apparait comme un météore illuminant le conflit par la pureté de ses motivations affichées sur sa poitrine, foudroyant les armées républicaines en ordonnant aux hommes comme aux éclairs ! Mais comme tout météore il est voué à se consumer en éclairant les Hommes et déjà la cape semble se refermer sur lui en guise de drap mortuaire…
Le tableau est exposé au Salon de 1824 : le peintre Charles-Paul Landon, critique d’art et conservateur des peintures du Louvre souligna « l’énergie du pinceau, la vivacité de l’expression et ce beau fini qui distingue toutes les œuvres de Girodet ». La même année le peintre succombait et était inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Le tableau quant à lui fut envoyé au Palais de Saint-Cloud avant de rejoindre Versailles en 1914 et finalement le musée d’Art et d’Histoire de Cholet où l’on peut aujourd’hui l’admirer.