Des banquets et festins des nobles à la modeste nourriture des plus pauvres, le repas au Moyen Âge était un puissant marqueur social. Divisée en trois ordres, la société médiévale comprend les bellatores (les nobles) les oratores l'ordre des religieux et les laboratores qui sont ceux qui travaillent. Chacun de ces groupes est soumis à des normes alimentaires précises selon le rang social auquel il appartient. Cette conviction, restée immuable durant tout le Moyen Âge, stipule que nourritures et boissons ainsi que la façon de les consommer se doivent d'afficher aux yeux de tous le statut occupé par chacun. Le ''mangeur'' du Moyen Âge est par le fait contraint de suivre un modèle d'alimentation et ne peut en déroger sous peine d'être accusé de faire « péché de bouche », voire d'encourir une sanction.
Les valeurs alimentaires médiévales
Les aliments sont classés par rapport aux quatre éléments de la création (œuvre de Dieu) : le feu considéré comme le plus valorisant puis l'air, l'eau et l'élément le plus éloigné de Dieu : la terre. De cette hiérarchie découle un ordre de valeurs des animaux et des végétaux, elle-même en relation avec la hiérarchie des hommes. Cette représentation appelée « la grande chaîne de l'être » explique pourquoi beaucoup de légumes seront, tout au long du Moyen Âge méprisés par les bellatores car issus de l'élément le plus bas : la terre. Réputés nourriture grossière, particulièrement les bulbes poussant sous terre (ail oignons poireaux, les racines, navets, raves panais, carottes) ils seront ''laissés'' aux paysans et aux pauvres des villes.
Un peu mieux considérés sont les légumes sortant de terre (salades, épinards) ou sur tiges (pois, choux) et ceux qui s'élèvent dans l'air comme les fruits et les céréales qui bénéficient d'un statut supérieur dû à leur position haute. Pour cette même raison, les bellatores apprécient la chair des grands oiseaux : hérons, grues cigognes,cygnes paons, faisans...associés à l'élément air digne de leur rang social.
La table aristocratique
Pour les nobles du moyen-âge, manger beaucoup et plus que les autres convives constitue un signe de richesse et de pouvoir. Aux seigneurs sont servies les plus grosses rations alors que chevaliers, écuyers, chapelains et clercs voient leur repas se réduire à la mesure de leur rang social pour la plupart des plats proposés.
La consommation de la chair (en contact avec l'élément feu car grillée) est associée à la force physique, au pouvoir et à la puissance sexuelle, trois notions placées au sommet de l'échelle des valeurs. Le gibier occupe une place privilégiée au menu des seigneurs qui pratiquent la chasse avec la même passion que la guerre.
Festins et banquets des seigneurs
Réceptions banquets et festins ont une fonction de distinction par laquelle les puissants manifestent l'étendue de leurs pouvoirs et de leurs richesses. Ils offrent à leurs invités de marque des mets raffinés, variés, abondants et surtout spectaculaires, chaque plat étant une œuvre d'art destinée à les éblouir (les oiseaux paraissent vivants dressés sur les plats recouverts de leur plumage) Les tables sont disposées en U au centre duquel se trouve le prince et ses invités prestigieux qui occupent le « haut bout »de la scène.
Les convives sont invités à passer à table au son du cor afin de se rincer les mains dans l'eau d'une aiguière (cette pratique est appelée ''corner l'eau'') ils se placent sur un seul côté afin de profiter des spectacles donnés par les troubadours, jongleurs acrobates. Les hôtes de rang inférieurs sont installés au « bas bout » de même que les femmes et les jeunes filles (sauf le jour de leur mariage où vêtue de rouge comme le veut la coutume du Moyen Âge, elle jouissent du privilège d'être placées au centre).
Rituel du service
Servir un duc, un prince ou un roi, découper sa viande ou trancher son pain est un grand privilège réservé à des personnes de la noblesse formées à cette tâche depuis leur plus jeune âge. Le service du repas et du vin est minutieusement réglé par le maître d'hôtel. Premier à intervenir le « panetier » met en place les nappes, prépare les tranchoirs de son maître (tranches de pain à la mie dense qui feront offices d'assiettes) dispose le sel et les cuillers. A côté du seigneur se trouve « l'écuyer tranchant» dont le rôle est de découper viandes et volailles. L' « échanson »assure le service du vin coupé le plus souvent d'eau. Vins et mets sont testés et goutés car forte est, au Moyen Âge, la crainte de l'empoisonnement.
Déroulement des séquences
Le banquet se compose d'une succession de séquences appelées services ou assiettes. A chaque séquence correspond un ensemble de mets apportés en même temps puis débarrassés pour faire place aux suivants. Chaque convive ne consomme que les plats disposés devant lui selon son rang social. Au Moyen Âge les fruits se mangent au début du repas accompagnés d'échaudés (sortes de beignets cuits dans l'eau bouillante), de saucisses pâtés, boudins, et de vin doux aux herbes et aux épices (ancêtre de nos apéritifs?).
Puis vient le service des potages ou potaiges qui désignent les aliments cuits dans des pots, viandes gibiers ou volailles mitonnés à petit feu avec des sauces et des légumes. Parmi les potaiges les plus courants figurent les brouets (viandes cuites dans un bouillon) ainsi que les « cretonnées »qui doivent leur nom au morceau de lard recroquevillé par la cuisson. Les comminées sont des préparations à base de cumin. Grand classique de cette assiette les « hochepots » pour lesquels il faut régulièrement remuer la préparation.
Le service des rôts correspond (uniquement les jours gras) aux pièces de viandes cuites à la broche. Il peut s'agir de gibier (sanglier chevreuil lièvre..) ou d'animaux d'élevage (chevreaux porcelet veau) de volailles (chapon poularde, poulet faisan, oie canard, perdrix tourterelle et autres menus oiseaux) et dans les grands banquets les volatiles tels que cygnes, paons hérons, butors grues et cormorans. Il peut aussi y figurer du poisson de mer et d'eau douce cuits à la broche au four, au gril ou bouillis.
Entremets et desserte
Le terme d'entremet s'applique à une grande diversité de plats servis souvent après les rôts, accompagnés de divertissements proposés par les acrobates jongleurs danseurs, trouvères et troubadours...Ces plats sont composés de viandes mijotées, de céréales, purée de pois cassés, d'œufs de plats de poisson en sauce. Mais les entremets sont aussi pour les « maîtres queux » l'occasion de montrer des plats extrêmement sophistiqués et très élaborés ou de taille gigantesques, faisant partie du spectacle destiné à ''ébaudir'' l'assemblée.
Vient ensuite la « desserte »où sont proposés les préparations sucrées : compotes diverses, flans tartes crèmes rissoles (beignets salés) et certains fruits censés « fermer l'estomac » poires, nèfles coings, fruits secs et fromages. A l' « issue » on boit de l'hypocras et des vins de « congiés » en grignotant des gaufres et gaufrettes nommées « oublies », « mestiers »ou « supplications ».Puis les convives, après avoir récité les grâces se retirent dans leurs appartements où ils peuvent encore déguster vins, épices de chambre et friandises.
Le modèle alimentaire monastique
Les oratores sont divisés en deux catégories non astreints au même règles alimentaires : le clergé séculier et le clergé régulier. Les religieux séculiers, curés de paroisse prêtres et évêques sont appelés ainsi car ils vivent « dans le siècle »en contact avec la population, peuvent manger de la viande (sauf les jours maigres) Les moines et moniales qui suivent une règle (les réguliers) doivent s'en abstenir ayant fait vœu de pauvreté de chasteté et d'obéissance car la viande symbolise la richesse, le pouvoir la force brutale, la sexualité, celle-ci est remplacée par le poisson. Mais des exceptions sont faites en cas de maladie ou de faiblesse Les ermites se nourrissent de plantes sauvages crues, signifiant par là leur rupture avec la civilisation.
La règle de st-Benoit respectée pendant cinq siècles stipule que les moines ne doivent prendre que deux repas par jour. Le premier vers midi se compose d'un potage de fèves et de ragoût de légumes, parfois des fruits des œufs du fromage, du pain et du vin. Le second repas, après l'office des vêpres ,est fait des restes de midi. Les jours de jeûnes il n'y a qu'un seul repas vers trois heures de l'après-midi. Au XI e siècle la rigueur imposée se relâche et une collation est autorisée dans la soirée.
Les repas des paysans et autres travailleurs
Les laboratores regroupent les pauvres des campagnes et des villes, les artisans et petits commerçants, les paysans, mais aussi les plus riches de leur corporation dont le régime alimentaire est à l'évidence plus abondant et plus varié. Le repas paysan repose sur trois éléments de base : le pain, le vin et le « companage » (ce qui accompagne le pain). L'usage de tremper de larges tranches de pain (appelées soupes) dans le vin est largement répandu dans les campagnes. Galettes et bouillies figurent également au menu. Les céréales dont se nourrissent les paysans, après la part due au seigneur local, est pour l'essentiel des variétés secondaires : seigle, orge, épeautre.
Les potagers familiaux, entretenus par les femmes, les enfants et les vieillards produisent choux, raves, poireaux, navets épinards, panais aulx, oignons. Les légumes secs (fèves, lentilles pois chiches, vesces et gesses consommées en platées) représentent un bon apport nutritionnel complétant les céréales. La nature offre les cueillettes sauvages, asperges, cresson, fruits, herbes aromatiques, champignons, baies fruits secs (noisettes, noix...).
Certaines périodes du Moyen Âge ont vu les humbles consommer de grandes quantités de viandes de porc, de brebis, de chèvre et de bovins (consommés âgés lorsqu'ils ne sont plus productifs). Leur viande est mangée fraîche ou en salaison, toujours bouillie. La volaille est réservée aux repas de fête, aux malades et surtout à l'approvisionnement des seigneurs.
La précarité alimentaire
Le pain étant à la base de l'alimentation paysanne, une mauvaise récolte de céréales due aux conditions climatiques (sècheresse, pluie diluviennes,froid et gel) mais aussi aux guerres ont été à l'origine des grandes famines et des nombreuses disettes locales dont les pauvres et les paysans eurent à souffrir. Lorsque le grain vient à manquer on a recours à des substituts : la farine peut être en partie remplacée par des fèves ou des châtaignes moulues. Mais dans les situations extrêmes, il fallait bien, pour survivre manger tout ce qui tombait sous la main, animaux sauvages, racines, rats et même de la chair humaine (ce fait est relaté autour de l'an mil par le moine Raoul Glaber).
Le pain, nourriture vitale
Le froment, en raison de sa forte teneur en gluten produit un pain bien levé dont la mie blanche constitue un aliment de distinction sociale réservé aux nobles, tandis que les autres classes de la société doivent se contenter de pain à forte teneur en seigle, avoine et orge. Les paysans mangeaient leur pain jusqu'à la dernière miette, pas de gaspillage! On trempait la soupe (constituée de tranches de pain sur lesquelles on versait un bouillon de légumes, parfois de viande).
De cette habitude est née l'expression « être trempé comme une soupe ». Le pain a également une signification chrétienne car il représente « le corps du christ » Plus tard apparaîtra le maïs dont les Italiens feront une spécialité : la polenta. Toujours en Italie, un document d'archives daté de 997 mentionne une fouace ou galette appelée pizza! les pâtes sèches, à base de semoule de blé dur, sont consommés au Moyen Âge ainsi que les pâtes fraiches ou farcies (à base de blé tendre), connues depuis l'antiquité.
Lait, beurre et fromages
Le lait, très peu consommé par les couches aisées de la société (car il a un apriori négatif) est l'aliment du paysan du valet et de l'enfant. De plus les médecins médiévaux l'accusent d'affaiblir les adultes, de ronger les dents, voire de provoquer la lèpre ! C'est donc essentiellement sous la forme de fromages de vache de chèvres ou de brebis qu'il est consommé. Certaines abbayes fabriqueront à grande échelle des fromages de terroir (brie, maroille, roquefort) très appréciés des rois. Le « formage » terme utilisé au cours du Moyen Âge vient du latin forma qui désigne la forme du récipient dans lequel était moulé le caillé. Le beurre est surtout utilisé dans les régions où abonde la production du lait, d’autres matières grasses comme le lard et le saindoux sont plus courants en campagne.
Pendant longtemps, le sel était remplacé par les épices dans les plats, et le sucre très rare, par le miel, denrée précieuse durant tout le Moyen Âge.
La cuisine est une alchimie particulièrement riche à ces époques médiévales, dont nous avons peut-être une certaine nostalgie en recherchant les variétés de fruits et de légumes anciens et les recettes de grand-mères. On peut y voir l'expression d'un besoin plus profond : celui de retrouver, dans notre société moderne traversée de constantes mutations, des racines et des repères stables. Connaître les recettes et les plats du Moyen Âge permet de découvrir de multiples autres aspects de la société de cette époque.
Sources et illustrations : A la table des seigneurs, des moines et des paysans du Moyen Age de Eric Birlouez. Editions Ouest France, 2009.
Pour aller plus loin
- Alimentation au Moyen Âge, de Yann Morel. Gisserot, 2018.
- Cuisiner et manger au Moyen Âge, de Josy Marty-Dufaut. Ouest-France, 2021.