Longs récits des exploits de héros réels ou fictifs, les chansons de geste rompent avec la tradition littéraire latine et constituent un genre original, à la fois épique et poétique. Le terme geste provient du latin gesta (actions héroïques ou exploits guerriers) et désigne par extension la narration de ces hauts faits. Issues de la tradition orale, les chansons de geste sont psalmodiées et véhiculées par des jongleurs musiciens qui les mémorisent avant de les réciter. On compte environ 150 chansons de geste françaises écrites de 1100 à 1280, période de gloire du genre. La Chanson de Roland est la plus ancienne et la plus célèbre.
Les origines de la chanson de geste
Les chansons de geste se développent à partir des dernières années du XIe siècle et pendant tout le XIIe siècle, et sont conservées dans des manuscrits rédigés entre le XIe et le XVe siècle. Elles relèvent du genre épique et exaltent les grands événements historiques (les guerres en premier lieu), en particulier ceux ayant contribué de manière décisive à la formation du pays. Cependant, leurs auteurs ne semblent guère se préoccuper de savoir à quel genre littéraire appartiennent leurs œuvres ; aucun d’eux, en tout cas, n’a cherché à imiter les épopées antiques.
La plupart des exploits et des hauts faits chantés dans les chansons de geste se situent historiquement deux ou trois siècles avant la date de leur récit, à l’époque carolingienne, le plus souvent au temps de Charlemagne lui-même ou de son fils Louis le Pieux. Cela pose la question de leur genèse et de leur élaboration : on admet aujourd'hui que ces chansons ont été progressivement élaborées à partir des récits oraux propagés par les trouvères et les jongleurs, mais il ne faut pas négliger pour autant le rôle déterminant de certains conteurs qui, dotés d’un grand talent poétique, auraient puisé dans ce fonds légendaire la source de leur inspiration.
Les caractéristiques de la chanson de geste
Composées en général de plusieurs milliers de vers (décasyllabiques le plus souvent), les chansons de geste sont destinées à être psalmodiées, c’est-à-dire récitées avec un accompagnement musical. Cela explique sans doute leur forme très spécifique, fondée sur l’emploi exclusif de la laisse (strophe de longueur irrégulière) ainsi que sur le retour de formes stéréotypées (assimilables à des refrains). Les conteurs doivent par nécessité morceler ces chansons très amples et, pour que leurs auditeurs n’oublient pas un jour les événements narrés la veille, ils commencent chaque soir par un résumé des épisodes précédents, d’où les nombreux passages répétés.
La chanson de geste répond à des schémas narratifs stéréotypés. L’auteur, souvent anonyme, importe moins que le jongleur qui se rend dans les châteaux pour distraire les aristocrates. Avant de réciter les chansons , il vante ses mérites pour éliminer la concurrence. La composition répond à ses besoins mnémotechniques. Le texte est divisé en laisses, c’est-à-dire, en strophes assonancées ou rimées de longueur inégale. D’une laisse à l’autre, on retrouve beaucoup de répétitions.
Les trois grands cycles
Les chansons de geste sont traditionnellement réparties en trois grands ensembles, ou cycles, en fonction du personnage principal qu’elles mettent en scène ou en fonction de leur thème dominant. Chaque chanson est centrée sur un personnage. Mais on peut regrouper ces héros en grandes familles. On distingue alors trois cycles : le cycle du Roi, celui de Garin de Monglane et celui de Doon de Mayence.
Charlemagne est le personnage central de la geste du Roi, le cycle le plus ancien. On lui prête parfois les exploits de son aïeul Charles Martel contre les Sarrasins. La vie de son fils Louis et celle de sa mère Berthe font également l’objet de récits épiques. La geste de Garin de Monglane met en avant Guillaume, fils d’Aymeri de Narbonne et petit-fils de Garin de Monglane, qui devient Guillaume d’Orange suite à la conquête de la ville. Enfin, la geste de Doon de Mayence, ou geste des barons révoltés, reflète la tension présente entre les monarques et leurs vassaux. Les trouvères mettent en scène Ogier le Danois et les quatre fils Aymon comme héros révoltés contre un roi injuste et jaloux. La figure royale, adulée dans le premier cycle, s’avère dégradée.
Des témoins indirects de leur époque
Ces textes chantés témoignent de l’imagination débordante de leur auteur car les exploits relatés sont souvent fictifs. Même quand ils s'inspirent de faits réels, ils ne reproduisent pas la vérité historique, à l’instar de la Chanson de Roland, texte qui transforme un désastre militaire en un épisode glorieux. Les chansons de geste rapportent toujours des faits passés mais, au lieu de se baser sur des sources textuelles fiables, leurs auteurs s’inspirent des récits oraux.
Transmis de génération en génération, leur trame évolue au gré de la fantaisie de conteurs incultes. Écrite vers 1100, La Chanson de Roland évoque la défaite de Charlemagne à Roncevaux, quelque trois cents ans plus tôt. Les ennemis basques deviennent des Sarrasins, plus présents dans l'imaginaire collectif. De même, Roland, simple gouverneur de la marche bretonne, entre dans la famille carolingienne et acquiert ainsi un plus grand prestige. Les auteurs des chansons de geste s’inspirent du passé, mais leur œuvre traduit la mentalité de leur époque. La geste du roi traite essentiellement de la lutte contre les Sarrasins. Or, aux XIIe et XIIIe siècles, les chrétiens partent en croisade et les Maures demeurent leur principal ennemi. Quant au cycle des barons révoltés, il reflète le conflit des Capétiens avec les grands féodaux.
Les chansons de geste sont à l’origine des romans courtois, et tout particulièrement des récits en vers de Chrétien de Troyes. Caractéristique de la société du Moyen Âge, elles disparaîssent au profit du roman.
Bibliographie
- La chanson de geste, de François Suard. PUF, 1993.
- La Chanson de geste: Essai sur l'art épique des jongleurs, de Jean Rychner. Droz, 1955.