Le 26 juillet 2010, le tortionnaire khmer rouge Douch était condamné par la justice internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour les exactions qui se déroulèrent au Cambodge dans la seconde moitié des années soixante-dix. Le film documentaire franco-cambodgien, S21 -
Loin d’être un simple documentaire, S21 -
Un travail de mémoire
S21 était le nom donné sous le régime des Khmers rouges au Cambodge au principal « bureau de sécurité », le centre de détention de Tuol Sleng, dirigé par Douch. Entre 1975 et 1979, entre 14 000 et 17 000 prisonniers, aussi bien hommes, femmes qu'enfants, furent interrogés, torturés puis exécutés et enterrés aux environs de ce lycée transformé en prison, dans des fosses communes, les « Killing Fields ». En effet, toute personne entrant dans le S21 était vouée à être exécutée. Moins d’une dizaine de prisonniers survécurent dont deux témoignent ici dans ce film, se confrontant au passage à leurs anciens bourreaux.
La grande force du réalisateur est avant tout de filmer simplement et modestement, sans artifice, loin de toute complaisance. Avec de longs plans séquences, dans un S21 vide mais dont l’odeur des atrocités commises semble présente, Rithy Panh reconstitue minutieusement les faits et gestes quotidiens du centre de détention. Les anciens geôliers se retrouvent dans leur rôle de tortionnaire, répétant des actions devenues mécaniques pour eux. Le réalisateur insiste fortement sur cette répétition, au risque de nous lasser ou de virer dans le malsain. Aussi intelligente soit-elle, la mise en scène reste de ce fait particulièrement éprouvante et lente. Cependant Rithy Panh nous montre ainsi avec horreur comment, petit à petit, un homme perd toute sensibilité et devient un être sans âme, comment un homme peut torturer et tuer sans relâche puis rentrer tranquillement chez lui, serrer son bébé dans ses bras et dormir tranquillement.
Une culpabilité non assumée
Bourreaux comme victimes, le S21 ne fait plus de distinction entre l'animal sauvage, la machine à tuer et tout simplement l'homme, l’être humain. Plus d'idéaux, plus de conscience, plus de morale, le documentaire montre l'anéantissement de toute volonté, de tout sentiment face à l’endoctrinement du régime des Khmers rouges. Comme en témoigne l’un des anciens gardiens : « On les sortait un par un, on prenait les noms, et on les emmenait pour les tuer là, où la fosse était déjà creusée. Une fois tués, on les jetait dans la fosse. La deuxième fois […], il y avait une puanteur, j'ai vu la terre fissurée, les cadavres puaient. Nous nous appliquions à tuer. Après, on en a amené d'autres, qu'on a aussi tués, ça puait encore, et ça devenait normal, la puanteur était normale. On s'était habitués. Je ne pensais plus, je ne posais plus de questions. Je ne disais rien, je les emmenais se faire tuer, pour rentrer au plus vite. »
Pire encore, c’est l’absence de remords qui nous frappe. En effet, si d’un côté les victimes culpabilisent d’avoir survécu, les bourreaux, eux, ne manifestent jamais de remords ou de regret. Nous voyons alors les effets de ce qu’un système totalitaire peut faire à un homme : l’entraîner dans une froide et implacable déshumanisation. Face aux tortionnaires impassibles, se tient l’un des survivants, le peintre Nanh qui les interroge sans haine, calmement et dignement. Il cherche à leur faire avouer leur responsabilité, à obtenir leur repentir dans ce qui est considéré par certains comme un génocide, tout du moins comme des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Ces derniers ne le peuvent, incapables de comprendre l’atrocité de leurs actes, encore moins de demander pardon.
Plus qu’un documentaire, S21 -
Pour aller plus loin
- S21 -
- Bande annonce du documentaire