odysseus dvdLa série Odysseus est une production franco-Italo-portugaise, librement inspiré de l'Odyssée d'Homère et diffusée en 2013 sur la chaîne Arte. Le projet est ambitieux et selon les arguments publicitaires cherche à faire écho à des surproductions américaines comme Rome. Mais qu'en est-il au final ? Arte peut-elle rivaliser avec HBO et fournir un divertissement à la fois de qualité et historico-crédible ?

 

(Mal) heureux qui comme Ulysse...

Odysseus n'évoque pas la partie la plus célèbre de l'œuvre d'Homère (à savoir son errance de 10 ans en Méditerranée), mais plutôt le retour du roi d'Ithaque parmi les siens. Voilà 10 ans que la guerre de Troie s'est achevée dans les flammes et le sang. Alors que les rois Achéens s'en sont revenus dans leurs cités, riches d'un fabuleux butin, Ithaque attend toujours son souverain. Qu'est-il advenu d'Ulysse, l'artificieux fils de Laërte, le père du fameux cheval, le favori d'Athéna ? Nul ne le sait.

Son absence ne s'en fait pas moins sentir sur son île en proie aux intrigues et à la violence. Ulysse disparu, présumé mort, sa femme, Pénélope se devrait de prendre à nouveau époux. Ses prétendants, menés par le puissant Léocrite sont de dangereux guerriers venus de toute la Grèce et se comptent par dizaines. Mais la belle se refuse à eux, fidèle à son mari depuis 20 ans, guettant chaque jour l'apparition des voiles de son navire, au large.

Son fils Télémaque, épaulé par son grand-père et protégé par le fidèle Mentor, défend lui aussi le trône d'Ulysse. Mais jeune et inexpérimenté, il ne peut, pas plus que sa mère, contenir les prétendants. Ceux-ci frustrés, désœuvrés, font régner la terreur et exigent de la reine une décision rapide.

Dans le même temps, l'arrivée de nouveaux esclaves Troyens, dont la fougueuse Cléa, puis d'un conteur sur Ithaque vont mettre en branle une série d'évènements qui vont plonger l'ile dans le chaos. Ulysse s'en reviendra néanmoins au moment où tout espoir semble perdu. Mais son retour sera-t-il synonyme de paix et de prospérité retrouvée ? Rien n'est moins sûr...

Entre Mythe et Histoire

Cette trame scénaristique a pour cadre, non pas comme le veut la tradition historique la Grèce mycénienne du XIIe siècle avant JC, mais plutôt celle du VIIIe siècle avant JC. Ainsi Frédéric Azémar, le créateur de la série, entend ancrer son œuvre dans une époque plus proche de nous, mais surtout contemporaine d'Homère lui-même. Ce dernier apparait d'ailleurs dans la série qui traite de la genèse des cycles épiques de l'Iliade et de l'Odyssée et donc du rapport du mythe à l'histoire.

odysseus arteLe cadre présenté ici est donc hybride. Ithaque est bien une monarchie où le roi règne fermement, mais il est aussi tenu de consulter l'assemblée des hommes libres. On sent poindre là la transition (un peu maladroite) vers la Grèce classique, plus familière au grand public.

La culture matérielle présentée dans la série est elle aussi ambivalente. Faisant la part belle aux guerriers, elle offre un mélange parfois étonnant (et pas toujours heureux) entre des panoplies de la guerre du Péloponnèse et d'autres effectivement inspirées de l'époque archaïque (de quoi bien faire sourire les amateurs de reconstitution). La vie quotidienne de cet âge du fer hellénique est néanmoins rendue de manière crédible, avec quelques bons points (de la cueillette des olives, aux scènes d'hygiène au strigile).

Au final, un ensemble suffisamment cohérent pour ne pas trop choquer l'audience, à l'exception de sa marge la plus informée. Cette dernière ne pourra cependant réprimer quelques grimaces, notamment lorsqu'elle entendra Ménélas évoquer une horde de Perses prêt à ravir leur liberté aux Grecs (au VIIIe siècle ? sic.).

Ici nuls dieux, ni véritables héros, mais bien des personnages de chair et de sang, ancrés dans une réalité (plus ou moins) historiquement datable. Les exploits mythiques d'Ulysse et de ses frères d'armes achéens sous les murs de Troie ne sont qu'évoqués, et les divinités se montrent aussi silencieuses que leurs statues (malgré de généreux sacrifices).

Ithaque bien loin de Rome

Au final est-ce que cette combinaison de choix scénaristiques et matériels, parvient à rivaliser avec les péplums télévisuels hollywoodiens ? La réponse est malheureusement, non.

Artistiquement parlant, Frédéric Azémar a fait preuve d'audace. Il n'hésite pas à trahir Homère, en modifiant l'intrigue de l'Odyssée (et notamment en faisant du roi Ménélas, l'antagoniste ultime de la saison), ou en multipliant les histoires d'amours contrariées (Télémaque et Cléa, Mentor et Eurynomée). Alexandre Dumas aurait pu dire que peu importe que l'on viole les épopées homériques, pourvu qu'on leur fasse de beaux enfants. Malheureusement, ici, le résultat pèche grandement.

Penelope telemaqueLa distribution offre un spectacle inégal. Le simple fait que se côtoient des acteurs français, suisses, allemands, italiens et portugais a sérieusement du compliquer le tournage et cela se ressent. Des détails, comme le fait que Pénélope (originaire de Sparte) et Euryomée (une princesse Troyenne) partagent le même accent Italien, ont de quoi ruiner l'immersion. Les performances sont hétérogènes, allant de la très inspirée (Alessio Boni campe un Ulysse tout en démesure, mais crédible) à la soporifique (Niels Schneider ne fait pas un Télémaque très charismatique...). On note même de véritables erreurs de casting (Julie Gayet en Hélène de Sparte ?)...Le tout étant de plus, noyé dans une réalisation qui confine au théâtre filmé et suscite plus souvent l'ennui que l'intérêt.

Sur un plan purement visuel, la faiblesse des moyens est criante. Cette série de 12 épisodes aura couté autant que le seul pilote de Rome... Autant le dire, les scènes censées être les plus épiques (que ce soit les divers duels ou la bataille du dernier épisode, plutôt vite expédiée...) tombent complètement à plat. On a souvent l'impression de huis clos, les scènes se répétant inlassablement dans les mêmes lieux, Ithaque étant décidément bien petite. Les rares plans en image de synthèse nous sont resservis plusieurs fois par épisodes et les figurants ne sont rarement plus qu'une maigre dizaine.

D'autre part, les admirateurs de l'œuvre d'Homère et de la culture grecque antique resteront dubitatifs devant certains choix artistiques. Ulysse, l'anti Achille de l'Iliade, l'homme de la métis (cette intelligence rusée, tant prisée par les grecs) et du contrôle de soi est ici présenté comme un homme agité. Atteint d'un syndrome post traumatique, il est en proie à une paranoïa conjuguée à des accès de démence. Il est ainsi très éloigné du héros homérique, posé et diplomate que l'on nous présente d'ordinaire. Et que dire des amourettes dont des personnages comme Mentor se voient gratifiés? Rien de bien Homérique là dedans.

Au final et malgré une deuxième partie de saison plus convaincante, Odysseus manque sérieusement de souffle pour rivaliser, ne serait-ce que de loin avec des productions comme Rome. On en retiendra cependant une volonté salutaire de revisiter Homère et qui sait, d'y intéresser quelques téléspectateurs...

Odysseus, série TV réalisée par Stéphane Giusti, disponible en DVD.

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