Éléonore de Habsbourg (1498-1558), veuve du roi du Portugal, est devenue en 1530 la seconde épouse de François Ier. Instrument de négociation pour son frère Charles Quint et de revanche pour le Roi de France, elle aura bien du mal à trouver sa place à la cour de son tempétueux mari. Pendant les dix sept années de sa vie d’épouse et de reine française, cette sœur de l’ennemi ressentira l’animosité du roi et de ses fils. Rejetée, car étrangère, Éléonore de Habsbourg s’en retournera dans son pays à la mort de son époux et sera comme « gommée » de la mémoire des Français, n’étant même pas admise à la basilique de Saint Denis !
La jeunesse d’Éléonore de Habsbourg
Éléonore de Habsbourg, première enfant de Philippe le Beau et Jeanne la Folle, est née le 15 novembre 1498 à Louvain, obtenant son patronyme de son grand-père Maximilien d’Autriche, sa marraine étant Marguerite d’York, la veuve de Charles le Téméraire. Dix huit mois plus tard nait son frère Charles de Gand, futur Charles Quint et à la mort de leurs parents, ils sont confiés à Marguerite d’Autriche leur tante.
Jeune fille souriante, gaie, cavalière et experte à la chasse, elle apprend la musique, la peinture et les lettres. Ses goûts simples, sa modestie et ses sentiments font d’elle « une sotte sans ambitions ». A dix huit ans, elle s’éprend d’un cadet sans fortune le prince palatin Frédéric, fils de Philippe de Bavière ; Charles Quint n’en veut pas et cherche un prétendant « correct », au moins un roi … de France, d’Angleterre ou de Pologne en écartant de ce fait le duc de Lorraine, le roi du Danemark et celui de Navarre.
Reine du Portugal
Il opte finalement pour le roi du Portugal, Manuel Ier, né en 1469, laid, vieux, bossu, et veuf pour la seconde fois. Éléonore de Habsbourg lui est offerte en 1517 et en septembre, elle quitte les Flandres accompagnée de son frère, pour un long périple semé d’embuches : incendie de navires, tempête, traversée des Asturies vers Madrid qui est un pays aride et désolé. Le 13 juillet 1518, considérée comme « un chef-d’œuvre, tant est sage, joyeuse, honnête et gentille en toutes choses », elle épouse par procuration Emmanuel le Fortuné, devient reine du Portugal pendant trois ans, et aura un garçon mort jeune et une petite Maria que les Portugais voudront marier à leur convenance.
A la mort du roi en 1521, elle quitte le Portugal pour rejoindre Charles Quint en Espagne. Promise à Charles de Bourbon, à condition que celui-ci arrive à récupérer la Provence ou une partie de l’Italie, Charles Quint hésite tout de même. Bourbon est un traître puisqu’il est passé au service de l’Espagne. On ne sait pas exactement ce qu’en pense la jeune femme, mais il est certain qu’elle n’y était pas favorable.
Éléonore de Habsbourg, Reine de France
En 1525, François Ier est emprisonné en Espagne et signe un pacte afin d’être libéré : entre autre il épouserait Éléonore (la ravissant à Bourbon !). Charles Quint accepte (il vaut mieux tenir que courir), mais sa soeur resterait en Espagne avec les enfants royaux, jusqu’à ce que tous les termes de l’accord soient réalisés, entre autre la donation de provinces françaises. Éléonore et François Ier font connaissance lors de la maladie de celui-ci, et fut même heureuse d’entendre que le traité de Madrid « la donnait » au roi de France.
Une promesse de mariage est donc signée le 19 janvier 1526, les futurs époux ont le droit de correspondre et se retrouvent pour les fêtes données en leur honneur, mais tout le monde reste sur ses gardes. Éléonore est sincère, voue une réelle affection au Roi de France mais est tiraillée entre les deux hommes : elle s’occupe du futur Philippe II (enfant de son frère) et tente d’adoucir les conditions de captivité des enfants de François Ier
Après le traité des Dames signé en 1529, Éléonore devient la nouvelle reine, mais se trouve dans une situation bizarre : sœur de l’ennemi, gage d’amitié pas vraiment honnête, une sorte d’instrument pour son frère. Elle rejoint enfin son époux en 1530, en accompagnant les petits otages, mais c’est le cardinal de Tournon qui l’accueille le 1er juillet…le roi attendant à Bordeaux, ne vient à ses devants que le 4 juillet.
Les témoignages en faveur d’Éléonore sont nombreux « c’était la plus joyeuse dame que jamais on vit ». Jolie, elle est blonde aux yeux foncés, encore fraiche malgré ses trente deux ans, vêtue de velours sombre, elle adopte une robe blanche et un triple collier de perles, rubis et diamants autour du cou. Malgré tout, elle a la lèvre inférieure trop forte des Habsbourg et Brantôme rajoute « sous un corps de géante, tirant en bas, elle paraissait une naine, tant elle avait les cuisses et les jambes courtes » ! Le 6 juillet enfin, le roi peut embrasser ses enfants, saluer la reine et se coucher, car le lendemain c’est le mariage et l’échange des consentements.
Une étrangère délaissée
Ils prennent la route pour remonter vers Saint Denis pour le sacre de la reine le 5 mars. Arrivée avec quinze jours de retard, elle reçoit en cadeau de la ville, une paire de chandeliers surmontés d’un phénix avec sa devise « unica semper avis », oiseau qui renait de ses cendres, symbole de sa double royauté et de son amour fidèle. Elle triomphe…mais va vite être écartée, comme l’en avait avertie sa tante Marguerite d’Autriche « il est nécessaire qu’elle se conduise par la volonté du Roi, qu’elle fasse selon son désir…elle aura plus par la douceur que par le trop presser ». Douceur et docilité !
Elle attend donc des égards de la part du roi…mais elle est vite déçue, voire blessée : François Ier affiche sa maitresse en titre, ce qu’il n’avait pas fait à Claude. Il ne lui montre aucune marque d’affection, n’est pas prêt à lui faire un enfant (il en a déjà et ne veut pas de demi-frère pour ses fils). Ce mariage est une part du traité qu’il fallait obtenir, le roi a une grosse rancune pour Charles Quint, et ne peut pardonner : Éléonore est la sœur de son ennemi !
De plus, elle est timide, réservée et le roi préfère des femmes de tête. Une maternité lui aurait fait une place auprès du roi, mais il n’en veut pas, elle n’en aura pas. Elle va vers ses « beaux-enfants » mais reçoit un accueil des plus froids : Henri n’a toujours pas pardonné lui non plus. Seul François lui montre un peu de la gentillesse : Éléonore est une étrangère !
Louise de Savoie est déjà morte, il reste Marguerite sa belle sœur, avec laquelle elle avait lié un peu d’amitié en Espagne pendant la détention de François Ier. Mais Marguerite vient d’épouser Henri d’Albret en 1527 et est repartie en Navarre. D’une intelligence supérieure à Éléonore, elles n’ont pas la même culture, ni les mêmes ambitions : il y a un fossé entre les deux dames.
Un instrument de parade
A la cour, les clans se forment autour de la maitresse royale, mais pas autour de la reine ! Elle se cantonne donc dans son rôle de parade, en suivant le roi en déplacement, sans difficulté étant en bonne santé, en tenant sa place dans les cérémonies, pas toujours en tant que reine de France, mais : en tant que sœur de Charles Quint !
Elle ne réussira pourtant pas à réconcilier ces deux souverains ! Ce n’est pas faute d’essayer en 1532 lorsqu’elle fait appel à sa sœur Marie, veuve du roi de Hongrie ou encore en 1535 lors des entretiens de Cambrai. Et lorsque la guerre reprend en 1536, Éléonore le prend comme un échec personnel, surtout qu’à cette occasion le dauphin François prend froid et meurt : Charles Quint est accusé d’assassinat. Elle reprend son rôle d’intermédiaire en 1538-1539 pour les négociations entre les deux souverains et le pape Paul III afin de faire cesser les guerres en Italie…peine perdue ! Ces deux hommes n’arriveront jamais à se réconcilier, c’est mission impossible !
On a encore besoin de ses services en 1544 après la signature du traité de Cléry-en-Lannois pour conduire une importante délégation (le jeune duc d’Orléans, la duchesse d’Etampes) aux festivités aux Pays-Bas.
Éléonore de Habsbourg après la mort de François Ier
Puis c’est le coup de théâtre : François Ier meurt en mars 1547. Avertie deux jours après, Éléonore le pleure sincèrement, même si certains ambassadeurs prennent ses larmes pour de la « convenance ». Bonne et pieuse, elle avait été son épouse pendant dix sept ans ! Personne ne l’aimant, rejetée, elle ne pouvait plus rester en France. Elle rend les bijoux de la couronne (comme il est d’usage), Henri II lui offre des compensations financières (comme il est d’usage également), mais pas de cérémonies, pas d’adieux, pas d’escorte pour quitter le pays en direction de Bruxelles où elle arrive en décembre 1548.
Elle termine sa vie en tant que douairière, parmi les siens (sa sœur, son neveu Philippe, Maximilien II). En 1556, lorsque Charles Quint abdique et cède le trône à son fils, Éléonore et sa sœur l’accompagnent et s’installent non loin de sa retraite au monastère de Yuste, en Espagne. C’est au retour de sa rencontre avec sa fille Maria, à la frontière du Portugal, qu’elle est prise d’une violente crise d’asthme, si bien qu’elle meurt mi-février 1558, peu de temps avant son frère, qui lui fera élever un monument funéraire à l’Escurial.
Éléonore de Habsbourg ne s’est jamais sentie chez elle en France, comme le vivra Anne d’Autriche quelques années plus tard…sauf qu’Anne aura des enfants ! Elle n’a pas eu cette chance ! Pire : elle ne sera pas installée à Saint Denis auprès de François Ier ! Eléonore est vraiment une reine rejetée, presque « gommée » de la mémoire des Français !
Les Reines de France au temps des Valois, tome 1 : Le beau XVIe siècle, de Simone Bertière. Livre de poche, 1996.