Ses généraux, ses maréchaux, ses ministres et même sa propre famille, tous ont fournis à Napoléon Ier des traîtres qui ont dans l'ombre comploté et manigancé pour le pousser à sa perte. L'Empereur lui-même dira : « C'est dans les hauts rangs de la société que se trouvent les traîtres. Ce sont ceux que j'ai le plus élevés qui m'abandonnent les premiers ! ». Tel César ou même le Christ, Napoléon passe ou veut passer pour l'homme supérieur trahit par les siens. Sans ces trahisons le Premier Empire avait-il finalement toutes ses chances pour imposer un équilibre nouveau en Europe ? Robert Colonna d'Istria nous livre ses réflexions sur le concept de trahison avant de dresser un dictionnaire des traîtres à Napoléon. Un ouvrage très intéressant, accessible à tous, rédigé par un passionné trahissant une certaine admiration pour le personnage et donc finalement une certaine subjectivité.
Court traité de la trahison, considérations particulières sur le règne de l'empereur Napoléon Ier
Cet ouvrage commence opportunément par un chapitre de réflexion sur le concept même de trahison. Qu'est-ce-que trahir ? La trahison en elle-même est-elle « mauvaise » ? Est-elle au contraire un des moteurs du changement ? Du progrès ? Le traitre est-il un passeur essentiel entre un équilibre ancien et un équilibre nouveau ? Y a-t-il de « bonnes » raisons de trahir ? Comment la société considère-t-elle le traître ? Le jugement porté sur le traître dépend-il simplement de la réussite ou non de sa trahison ?
A ses réflexions générales sur la trahison succède un chapitre consacré à l'homme clef de cet ouvrage : Napoléon Ier. S'il est vrai qu'on ne trahit que ceux qu'on a aimé alors il convient de croire que la majorité des traîtres à Napoléon sont passé d'un sentiment extrême à l'autre face à cette personnalité charismatique qu'était l'Empereur des Français. Il est vrai que Napoléon ne laisse pas indifférent, que ce soit ses contemporains ou les nôtres... Et d'ailleurs Robert Colonna d'Istria trahit dans son ouvrage une admiration personnelle poussée pour l'Empereur présenté sans cesse comme un être supérieur. De cette supériorité et des succès naitront finalement quelques excès (l'hybris de Napoléon, sa façon d'écraser son entourage, allant parfois jusqu'à l'humiliation) et quelques ressentiments : jalousie, exaspération, lassitude... Autant de ferments à la trahison. Mais puisque certains ont prétendus servir la France en trahissant Napoléon, la question se pose quant à savoir si Napoléon n'était pas lui-même traître. Aux intérêts de la France ? A son Peuple ? A la Révolution ?
Quoi qu'il en soit, la trahison n'est-elle pas l'essence de l'épopée ? Ne donne-t-elle pas à la geste impériale ce côté dramatique et tragique qui fait son succès posthume ? La trahison n'est-elle pas l'indispensable couronne d'épines qui consacre l'héroïsme du personnage ?
Dictionnaire alphabétique des quelques traîtres qui ont contribués à mettre fin à son règne
Sous ce sous-titre qui, comme le premier, sent bon le XIXe siècle se trouve une énumération d'individus ou de groupes (le Sénat, les Maréchaux, la famille Bonaparte...), parmi lesquels on retrouve des noms très connus et attendu comme Fouché, Talleyrand, Murat ou encore Malé qui tenta un coup d'Etat en 1812. D'autres noms moins connus font également leur apparition comme le général Bourmont qui hésite entre le Roi et l'Empereur et passe à l'ennemi lors de la bataille de Ligny en 1815, ou encore le général Sarazin qui trahit Napoléon pour les Anglais en 1808, leur promettant de livrer des plans français, puis qui propose ses services à Napoléon durant les Cent-Jours en lui promettant de livrer des plans anglais... Au total se dictionnaire propose une petite quarantaine d'entrée avec des notices plus ou moins longues selon les cas (d'un paragraphe à trois ou quatre pages) égaillées par quelques présences inattendues comme celle de Jacques Chirac, jugé plus bête que traître pour avoir fait capoter toute commémoration officielle du bicentenaire de la victoire d'Austerlitz alors qu'il faisant dans un même temps participer officiellement la Marine française aux commémorations du bicentenaire de la défaite de Trafalgar... Traîtres également à Napoléon ceux qui font l'amalgame avec les régimes totalitaires du XXe siècle...
De l'avis du Magazine en ligne Histoire pour Tous sur la publication de Mr Robert Colonna d'Istria à propos des trahisons ayant entrainées la chute du Premier Empire
Cela n'aura pas échappé aux amateurs de la période, ce nouvel ouvrage des éditions France Empire reprend en quelques sortes le principe du fameux Dictionnaire des girouettes paru en 1815. L'ouvrage qui nous intéresse étant cependant quant à lui bien plus succinct (157 pages) et centré autour des traîtres à Napoléon. Si les propos de l'auteur démontrent une certaine admiration personnelle pour le grand personnage, les réflexions sur le concept de trahison s'avèrent très enrichissantes et touchent bien entendu à toutes les époques et tous les contextes, ne se limitant pas au Premier Empire.
Les notices biographiques du dictionnaire des traîtres sont relativement courtes et très accessibles, ce qui est un bon point pour la vulgarisation historique. Le mélange constant entre notices historiques (liées à des contemporains de l'Empereur) et réflexions contemporaines (contre l'ancien président Chirac ou les vendeurs de bibelots napoléoniens de piètre qualité) créé un effet de surprise et de décalage qui tranche avec ce qu'aurait proposé un ouvrage universitaire mais créé un climat relativement familier et plaisant à la lecture : on ne s'y trompe pas nous sommes dans un ouvrage de vulgarisation destiné à un large public, le langage parfois familier et l'absence de toute bibliographie (l'auteur cite toutefois de nombreuses références durant son développement) ne viennent que confirmer la chose.
Loin d'accabler tous les personnages traités, l'auteur passionné cherche à garder une certaine mesure. Par exemple le général Pichegru a en effet comploté contre Napoléon, mais l'a-t-il trahit ? Sûrement que non puisque qu'il s'est toujours opposé à lui. Grouchy a-t-il trahit à Waterloo ? Des rumeurs le disent, mais l'auteur reconnait que concrètement rien ne peut prouver cette hypothèse.
Au final, le journaliste du Point et du Figaro nous offre un ouvrage de vulgarisation clair et accessible à tous, relativement favorable à Napoléon dans le sens où est sans cesse entretenue l'idée que les projets de l'Empereur, aussi fous qu'ils puissent paraitre, n'étaient pas foncièrement impossibles. Cette idée qu'une paix impériale aurait pu régner sur l'Europe du XIXe siècle et que, peut-être, les justifications des traîtres aussi sincères soient-elles, ne semblent pas suffisantes pour les dédouaner. Et s'il y a bien un traître à qui l'auteur ne fait pas de cadeau c'est le dernier de la liste : Talleyrand ! Ainsi faut-il lire se livre avec plaisir mais tout en gardant en tête cette subjectivité de l'auteur.
Robert Colonna d'Istria, Trahir Napoléon, Editions France Empire, 2014.