Le 1er Janvier 1973, la Communauté Economique Européenne s’élargit de six à neuf pays avec l’adhésion du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni. Pour adhérer à la CEE, ces pays ont du réunir deux critères : appartenir au continent européen et obtenir l’accord de tous les pays membres. Or, Charles de Gaulle qui perçoit le Royaume-Uni comme le « cheval de Troie des Etats-Unis » a refusé son adhésion et a retardé le processus. Ce premier élargissement témoigne d'une certaine impopularité de la construction européenne mais aussi d'une volonté de renforcer la cohésion de la CEE.
Motivations économiques et politiques des futurs adhérents
La CEE créée par six pays en 1957 : L’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, instaure un marché commun et un rapprochement des politiques économiques des Etats. Le but est d'augmenter la productivité des six états et d’améliorer le niveau de vie dans un contexte troublé par la guerre froide et la crise de suez de 1956. L’élargissement constitue une opportunité de rivaliser avec les Etats-Unis. Toutefois, le processus initialement prévu pour quatre pays supplémentaires : l’Irlande, le Royaume-Uni, le Danemark et la Norvège se révèlera long et complexe.
Les différents pays candidats ont de multiples raisons de s’intégrer à la CEE qui a une place de plus en plus importante sur la scène internationale. Les politiques communes se sont développées et le marché commun est entré dans sa phase définitive.
Le Royaume-Uni est affaibli sur le plan mondial et n’y joue plus un rôle important. Bien qu’ayant refusé dans un premier temps d’appartenir à la CEE à cause de son caractère supranational, le Royaume-Uni est désormais intéressé par un futur élargissement. Ce changement de position s’explique en raison du relâchement de ses liens avec les pays du Commonwealth et les Etats-Unis, et par les problèmes rencontrés avec l’AELE. Cette dernière est une zone de libre échange créée le 4 janvier 1960 par le Royaume-Uni et six autre pays européens de l’OECE afin de faire contrepoids à la CEE et lui imposer des discriminations douanières.
La candidature britannique entraîne celle de l’Irlande avec qui elle exerçait une tutelle ainsi que le Danemark et la Norvège avec qui elle est liée depuis 1960 par l’AELE. L’Irlande, qui a été sous domination britannique jusqu’en 1921, demeure économiquement dépendante de cette dernière, qui représente près de 75% de ses exportations. Pour l’Irlande, l’adhésion est une question primordiale pouvant permettre son émancipation à travers l'accès à de nouveaux marchés.
Vers l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE
C'est en 1961 que le Royaume-Uni propose pour la première fois sa candidature qui sera repoussée à deux reprises par Charles de Gaulle. Comme les trois autres candidatures sont liées à celle de la Grande Bretagne, en refusant cette dernière, De Gaulle empêche ainsi l’élargissement de l’Europe à dix pays et isole la France dans la CEE. Cet isolement s’est notamment concrétisé en 1967 par l’opposition d’un front uni contre la France où les cinq autres pays membres de la CEE ont revendiqué une ouverte immédiate des négociations avec le Royaume-Uni. Ces cinq pays membres voient dans l’élargissement un intérêt particulier. En effet, l’Allemagne le considère comme un moyen d’obtenir des débouchés accrus pour ses produits industriels. Hostiles à l’hégémonie française, l’Italie et les pays du Benelux sont favorables à l’entrée du Royaume-Uni dans le marché commun afin de faire contrepoids à la France.
En juin 1969, Georges Pompidou, nouveau Président de la République, n’est plus convaincu de l’utilité du couple Franco-allemand. Il perçoit dans l’élargissement un moyen d’équilibrer la puissance allemande en Europe par l’entrée des britanniques. Ce regard s’explique par la crainte d’un rapprochement excessif de la RFA avec les Etats-Unis ou avec l’URSS avec l’ostpolitik mis en place par le chancelier allemand Willy Brandt en 1969 en vue d’un rapprochement est-ouest. Ce déblocage de la construction européenne débouche le 1er et 2 décembre 1969 sur la conférence de la Haye qui ouvre la voie à un premier élargissement. Les six chefs d'Etat se réunissent et décident de l'ouverture des négociations.
L’élargissement à dix : des négociations difficiles et un processus long
Les négociations se déroulent en deux temps : d’une part entre les six pendant le 1er semestre 1970 et d’autre part avec les pays candidats dès le 30 juin 1970. La deuxième partie des négociations est particulièrement difficile avec le Royaume-Uni et la Norvège. Les questions sensibles concernent l’importante contribution britannique versée au titre des prélèvements agricoles et le rôle international de la Livre. Il faut savoir que les britanniques avaient un avantage. Ils importaient à des prix inférieurs au prix communautaires des produits alimentaires à partir de pays non communautaires. Les négociations sont également complexes avec la Norvège quant à la délicate question de la pêche. Les pêcheurs qui ne possèdent pas de bateaux aussi puissants que les français ne sont pas disposés à partager leurs richesses naturelles avec la CEE.
Une quarantaine de réunions ministérielles et un nombre important d’heures de pourparlers sont nécessaires pour aboutir à un accord entre les six et le Royaume-Uni. Ce compromis est concrétisé dans les accords de Bruxelles. Le 22 janvier 1972 les pays candidats signent le traité d’adhésion.
L‘intégration des quatre pays ne seraient définitive qu’au 1er janvier 1973 à l’issue d'une période « intérimaire » de onze mois. L’objectif est de conserver la cohérence de la communauté où les décisions sont uniquement prises par les six mais avec l'accord des pays candidats. En outre, des périodes transitoires ont été fixées à 5 ans de 1973 à 1977 pour permettre aux nouveaux partenaires de s’adapter aux politiques communes et de ne pas bouleverser l’équilibre de la communauté. Ainsi, l’intégration s’effectue par étapes par le biais d’un calendrier pour éviter une brutale réorientation et de mettre à mal la cohésion de la CEE.
Une Europe réduite à neuf : entre une population divisée et un projet d’union plus solide
Au sein des pays de la CEE, l’adhésion est ratifiée par les parlements nationaux sauf en France en avril 1972, où elle s’effectue par referendum avec 68% de réponses favorables et un taux d’abstention de 39%. Contrairement à la ratification du traité de Rome, les citoyens sont pour la première fois directement consultés à l’occasion de référendums en Irlande et au Danemark.
Entre mai et octobre 1972, la ratification du traitée est votée en Irlande avec 83% des voix, au Royaume-Uni par la chambre des communes et des Lords et au Danemark avec 63,5% des voix. Il s’agit d’une victoire relative au Danemark car les partis nationalistes et de l'extrême gauche ont manifesté leur refus.
Le référendum de la Norvège constitue un échec le 26 septembre 1972 avec 53,3 % de voix contre. La résistance s’opère dans les milieux agricoles où pêcheurs et agriculteurs refusent de partager la zone de pêche avec les autres pays européens. A noter que même si la consultation référendaire n'est pas obligatoire, le gouvernement norvégien a préféré retirer sa candidature.
Cet élargissement dévoile aussi des aspects positifs et encourageants. En effet, les dirigeants vont montrer une plus grande solidarité en exprimant le projet de constituer une Europe plus unie. La coopération politique européenne progresse lors du premier sommet des 9, du 19 au 21 octobre 1972. Ce premier sommet organisé sous l’impulsion de la France constitue l'opportunité de donner un programme à une nouvelle l'Europe qui est élargie à 9. C’est à cette occasion qu’est pour la première fois, mentionné le concept d'Union Européenne. Ce sommet est également à l'origine d'une nouvelle institution : le Fonds Européen de Coopération Monétaire qui est le premier essai de création d'un organe bancaire central.
Ainsi, l’hostilité rencontrée par certains danois et le rejet de la Norvège mettent en évidence une certaine impopularité de la construction européenne au sein d’états au nationalisme fort. Ces hostilités vont inciter les scientifiques à créer un outil permettant d’évaluer l’opinion publique au sein de la communauté élargie. Il s’agit des sondages « eurobaromètres » mis en place au printemps 1974.
Bibliographie
- BINO Olivi et GIACONE Alessandro, L’Europe difficile. La construction européenne, Paris, Gallimard, « Folio », 3e édition 2007.
- BITSCH Marie-Thérèse, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Complexe, 1996.