En 1492, Christophe Colomb réussit, grâce à l’appui des souverains espagnols, la première traversée de l’océan Atlantique et (re)découvre l'Amérique. Il succède aux navigateurs portugais qui avaient atteint l'océan indien et l'Orient en cette fin du XVe siècle. Ces explorations européennes provoquent un grand désenclavement, une sorte de première "mondialisation" qui met en relation les quatres grandes civilisations (chinoise, européenne, musulmane et hindoue) de l'époque. Un monde qui ne se limite pas à un « concert des nations européennes » mais qui succède à une période ou l'humanité vivait cloisonnée. L’année 1492 devient ce que l’historien Bernard Vincent appelle « l’année du monde ».
1492, « année du monde »
C’est dans Histoire du monde au XVe siècle (Fayard, 2009) que Bernard Vincent emploie cette expression. Cette année, qui marque la fin du Moyen Âge selon la chronologie traditionnelle, est effectivement décisive, et pas uniquement pour l’Europe. En janvier 1492, les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, prennent Grenade, capitale de l’émirat nasride et dernière place musulmane de la péninsule Ibérique. En mars, les mêmes souverains ordonnent l’expulsion des Juifs d’Espagne par le décret de l’Alhambra. Le 3 août 1492, les trois navires de Christophe Colomb quittent Palos de la Frontera pour les Indes ; le 12 octobre, ils sont au large des rives de l’île de Guanahani (San Salvador).
Si ces événements sont majeurs dans l’histoire du monde, ils ne sont pas les seuls. L’élection de Rodrigo Borgia sur le trône de saint Pierre en août 1492 a des conséquences sur la péninsule, et au-delà. L’Italie, qui n’est pas un pays mais une mosaïque de principautés et de républiques, est déstabilisée par les rivalités. La cité de Florence perd son prince, Laurent le Magnifique (le 8 avril 1492), et va rapidement basculer sous la coupe du très radical Savonarole. Les autres grandes familles d’Italie, les Sforza, les Gonzague, les Colonna, les Orsini,…sans parler des républiques comme Venise, et du royaume de Naples, sont en tension constante, malgré la paix de Lodi (1454). Cette situation mène droit aux guerres d’Italie deux ans plus tard.
En effet, de l’autre côté des Alpes, le 8 février 1492, le roi Charles VIII fait couronner sa femme Anne de Bretagne, reine de France. Cette union signe le rattachement du duché de Bretagne à la France, et la fin des ambitions de plusieurs souverains européens. Elle permet aussi au roi de France de consolider son pouvoir, et donc de bientôt se tourner vers l’Italie, et en particulier le royaume de Naples.
Si l’année 1492 est donc importante pour l’Europe à plus d’un titre, le reste du monde tourne aussi. Ainsi, le royaume bouddhiste de Pegu (sud de la Birmanie) perd son prince législateur et bâtisseur, Dhammaceti ; et l’empire Songhay (Afrique de l’Ouest) voit disparaître Sunni Ali Ber, ce qui amène au pouvoir les Askiya un an plus tard.
La Méditerranée à la fin du XVe siècle
La chute de l’émirat nasride de Grenade en 1492, quelques mois avant l’élection d’Alexandre VI, renvoie les musulmans de l’autre côté de la Méditerranée, en tout cas dans sa moitié ouest. Les Latins ont déjà un pied sur cette rive depuis la prise de Ceuta par les Portugais en 1415, sans parler des voyages de ces derniers pour contourner l’Afrique les décennies suivantes. En Méditerranée occidentale, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe, c’est l’Espagne qui domine politiquement et militairement puisqu’elle exerce son influence jusqu’au royaume de Naples, si important dans les affaires des Borgia et en partie à l’origine des guerres d’Italie. Celles-ci retardent un temps ce qui est considéré à l’époque comme une croisade par les Rois Catholiques : le passage de l’autre côté du détroit de Gibraltar, l’attaque du Maghreb. Cela conduit à la conquête de Melilla en 1497, puis à celles d’Oran (1509), Bougie (1510) et même Tripoli l’année suivante. Les principales victimes de la poussée espagnole sont les Hafsides, dernière grande dynastie du Maghreb après la disparition des Mérinides et l’affaiblissement des Abdelwadides de Tlemcen.
En Méditerranée orientale, c’est évidemment plus complexe pour les Latins. La poussée ottomane semble inexorable depuis la prise de Constantinople en 1453, et les cités italiennes perdent une à une leurs possessions. Ainsi, entre 1499 et 1503 (mort d’Alexandre VI), une guerre opposant les Turcs à Venise provoque la perte pour la Sérénissime du Péloponnèse, dont Moron et Coron en mer Ionienne. La flotte turque est tellement sûre d’elle que le sultan peut envoyer ses corsaires (dont le jeune Piri Reis) croiser au large du Maghreb au tournant du siècle. Il ne reste bientôt plus en Méditerranée orientale que quelques places en sursis aux Latins : Chio et Chypre, qui paient tribut au sultan ottoman, ainsi que Rhodes (tenue par les Hospitaliers) et la Crète vénitienne.
Au niveau économique, le XVe siècle n’a pas été, comme on l’a longtemps cru, une période de recul, au contraire. Le dynamisme et la rivalité des cités italiennes, Gênes et Venise en tête, mais également des Valenciens et des Barcelonais, a permis un véritable essor commercial, auquel le Maghreb musulman était intégré grâce à la présence de fondouks chrétiens dans les ports hafsides, ou même nasrides avant la chute de l’émirat (à Malaga par exemple). L’ouverture vers l’Atlantique date de la deuxième moitié du siècle, avec les voyages portugais autour de l’Afrique, mais également avec l’augmentation conséquente du trafic vers le nord de l’Europe et les ports anglais et flamands. La poussée ottomane en Méditerranée orientale isole petit à petit cette dernière de ces flux commerciaux.
La découverte de ce qui n’est pas encore l’Amérique confirme le déplacement du centre de gravité vers l’ouest de la Méditerranée, et plus encore vers l’Atlantique. De plus, les conquêtes espagnoles au Maghreb au début du XVIe siècle mettent à mal les relations commerciales entre les deux rives de la Méditerranée. Les guerres d’Italie n’arrangent rien, puisqu’elles affaiblissent par exemple Venise, déjà inquiète de la poussée ottomane, quand Louis XII remporte face à la République des doges la victoire d’Agnadello (1509). La Méditerranée redevient alors un espace de conflit, où l’antagonisme Latins/Ottomans va marquer le XVIe siècle.
L’Empire ottoman en 1492
La prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 a provoqué un choc réel en Occident. La lutte contre les Turcs devient une priorité, en particulier pour les papes, Calixte III, l’oncle de Rodrigo Borgia, en tête. Mais, en 1492, la situation s’est quelque peu ralentie, et la menace semble moins pressante et moins immédiate, le front se stabilisant dans les Balkans. Cela est dû principalement à des troubles internes à l’Empire ottoman. En effet, le sultan Bayazid II (ou Bajazet) a vu s’opposer à lui son frère Djem pour la succession de Mehmet II, en 1481. Djem se réfugie à Rhodes et devient un enjeu politique pour affaiblir le sultan ottoman, un retour pouvant menacer sa légitimité.
A peine élu, Alexandre VI offre sa protection à Djem, puis joue sur les deux tableaux : en 1493, il s’accorde avec le roi de Naples pour lui livrer le Turc en cas d’attaque du sultan ; et un an plus tard, il négocie avec ce dernier pour lui rendre son frère contre une forte rançon. Le problème est finalement réglé à la fin de cette année 1494 : le pape livre Djem au roi de France Charles VIII, qui vient d’entrer dans Rome. Quelques semaines plus tard, le frère du sultan meurt de maladie à Naples. Alexandre VI peut alors se montrer comme un champion de la lutte contre les Turcs, rappelant même à Louis XII ses devoirs en ce sens lors de son arrivée au pouvoir en 1498. Pourtant, les guerres d’Italie continuent, s’aggravent même, ce qui profite aux Ottomans. Ces derniers attaquent les possessions de Venise, contre laquelle ils remportent une guerre en mer Ionienne en 1503.
A l’Est, le sultan Bajazet a plus de difficultés à cause de la menace turkmène et safavide, et le jeu trouble des Mamelouks du Caire. Les Safavides, sous l’influence de Chah Ismaïl, prennent Tabriz en 1501, puis Bagdad en 1508, avant de menacer directement l’Anatolie. En 1512, le sultan ottoman affaibli est renversé par son fils Selim, qui se pose en champion de l’islam sunnite face au chiisme des Safavides, et en concurrence avec les Mamelouks. Il défait les premiers en 1514, à Chaldiran, puis se tourne vers les seconds ; le Caire tombe en 1517 et l’Empire ottoman devient pour longtemps la plus grande puissance de la Méditerranée orientale.
La Russie des premiers Tsars
La mer Noire est contrôlée par les Ottomans à la fin du XVe siècle et, depuis Mehmet II, les Mongols sont vassalisés en Crimée. Plus au nord, on assiste à la montée en puissance des Moscovites, avec surtout l’arrivée au pouvoir en 1462 d’Ivan III, dit Le Grand. Il unifie les Russies avec la prise de Novgorod en 1480, expulse de Moscou les Mongols de la Horde d’Or la même année, et se fait proclamer « souverain de toutes les Russies », tout en prenant le titre byzantin de tsar (César), en 1493. Son successeur Vassili III (1505-1533), père d’un certain Ivan le Terrible, poursuit le mouvement en annexant les autres principautés, comme Pskov en 1510 ou les Lituaniens de Smolensk en 1514.
Le règne d’Ivan le Grand est décisif pour la Russie au-delà des conquêtes. Il tente de faire reconnaître le titre de tsar (auparavant réservé aux empereurs byzantins ou aux khans) par des diplomates allemands, pour traiter d’égal à égal avec l’empereur germanique, et il regroupe autour de lui une cour qui rassemble la noblesse russe. Puis, Ivan III met en place sa dynastie, ce qui provoque quelques troubles de succession.
Si le contrôle du souverain russe sur son peuple est certain, comme l’atteste le témoignage du baron Herberstein en 1517, il n’est pas un empereur « officiel », c’est-à-dire couronné. Ce n’est donc pas encore le moment où la Russie peut se présenter comme le nouvel empire succédant à Byzance, surtout face aux Ottomans. Le khanat tatar de Crimée reste pour elle une épine dans le pied. Néanmoins, elle pèse d’un poids certain sur l’Est de l’Europe.
L’Empire germanique et ses voisins
L’Europe orientale et centrale de la deuxième moitié du XVe siècle est en pleine mutation, en partie à cause des changements majeurs en Russie et dans l’Empire ottoman, sans oublier évidemment l’Italie et ses rapports depuis longtemps compliqués avec l’empereur germanique, ainsi que la rivalité avec la France. Au sein du Saint Empire, les Habsbourg finissent par s’imposer à la suite des Luxembourg avec d’abord Frédéric III (1452-1493), dernier empereur couronné à Rome, puis Maximilien Ier, qui règne jusqu’en 1519. Lui succède Charles Quint. L’Empire est censé former une « union personnelle » (par le biais d’alliances matrimoniales et de traités territoriaux) avec la Bohème et la Hongrie, non sans difficultés. En Pologne règnent les Jagellons depuis la fin du XIVe siècle, famille d’origine lituanienne, qui se sont disputés la Bohème et la Hongrie avec leurs voisins jusqu’à la fin du XVe siècle.
Les royaumes scandinaves sont eux aussi liés de différentes manières au destin de l’Empire. Il existe une unité culturelle entre Danemark, Norvège et Suède, et une unité politique se met en place, non sans mal, à la fin du XIVe siècle (assemblée de Kalmar, 1397). Les trois royaumes sont donc unis, malgré quelques crises au cours du XVe siècle, et un éclatement en 1523 avec la sortie de la Suède.
Cet espace entre mer Noire et Baltique est caractérisé par une hésitation entre l’élection des princes et l’hérédité, et par des frontières sans cesse mouvantes au XVe siècle, et jusqu’au début du XVIe. En 1517 éclate finalement le conflit de la Réforme, qui va être décisif pour la région durant le reste du XVIe siècle, et au-delà.
La France et l’Angleterre en 1492
En Angleterre, la dynastie des Tudor est sur le trône, avec Henri VII, depuis 1485. Le roi n’est pas intéressé par la guerre et s’emploie surtout à consolider le royaume exsangue. Diplomatiquement, il construit de bonnes relations avec l’Espagne (mariant son fils Arthur avec Catherine d’Aragon), mais aussi la France, l’Ecosse et le Saint Empire. Lui succède son fils Henri VIII en 1509 (Arthur est mort prématurément), qui a épousé à son tour Catherine d’Aragon grâce à l’accord du pape Jules II. Roi impétueux et guerrier, Henri VIII voit d’un mauvais œil l’ambition française ; il rejoint la ligue de Jules II contre Louis XII, puis entre dans une relation entre rivalité et respect avec François Ier. Il commence alors un jeu diplomatique habile entre ce dernier et Charles Quint, quand celui-ci devient empereur en 1519…
L’Afrique dans l’histoire
Le manque de sources rend souvent difficile la connaissance de l’histoire de l’Afrique médiévale, mais on sait néanmoins grâce aux géographes et marchands musulmans, puis aux navigateurs portugais, que l’Afrique était composée de nombreux royaumes et principautés à la fin du XVe siècle. Si le Maghreb subit les coups de l’Espagne et du Portugal, et l’Egypte mamelouke ceux des Ottomans, l’Afrique noire semble plus isolée du reste du monde. Pour les Européens, ce serait même la patrie du légendaire Prêtre Jean.
Pourtant, grâce aux routes commerciales, en particulier celles de l’or passant par Sijilmassa (Maroc), l’Afrique est connectée avec une partie du monde, et plus encore avec l’installation des comptoirs portugais et le développement de la traite. Outre l’empire du Mali affaibli, l’Afrique de l’Ouest est sous la coupe d’un grand royaume, celui des Songhay (capitale Gao), dont l’apogée correspond au règne de Sunni Ali Ber. Celui-ci, comme nous l’avons évoqué plus haut, meurt en 1492, alors qu’il a conquis de grandes cités comme Tombouctou (1468). Lui succède son rival, Muhammad Sarakollé Touré (1493-1528), qui fonde la dynastie des Askiya. D’autres royaumes puissants se trouvent dans la région du lac Tchad, parmi lesquels les cités-Etats du pays hawsa (dont Kano et Katsina, puis le royaume de Kebbi au début du XVIe) et le Kanem-Bornou. Le Kongo, quant à lui, est découvert par les Portugais en 1483, et son roi se convertit au christianisme ! Son fils, Affonso Ier Nzinga Mvemba, se rend même à Lisbonne en 1512.
L’intérieur des terres est lui moins connu, à l’exception de l’émergence à la fin du XVe siècle du Monomotapa. Il supplante le Grand Zimbabwe qui, auparavant, réunissait un gigantesque territoire (comprenant le Malawi, le Mozambique et la Zambie actuels), relié à l’océan Indien par des comptoirs à Kilwa, Quelimane ou Sofala.
L’océan Indien et l'arrivée des portugais
Au XVe siècle, l’océan Indien connaît un grand dynamisme comme l’attestent par exemple les expéditions de l’amiral chinois Zheng He entre 1410 et 1433. La péninsule Arabique voit quant à elle l’importance du port d’Aden diminuer avec la chute des Rasûlides, au milieu du XVe siècle, dont profitent les marchands musulmans nakhudhas, venus du sud de l’Inde. Mais c’est évidemment l’arrivée des Portugais, avec le règne de Manuel Ier (1495-1521), qui s’avère décisive pour la région, quand Vasco de Gama passe à son tour le cap de Bonne-Espérance en 1497, après la tentative écourtée de Bartolomeu Dias dix ans auparavant. Le navigateur portugais n’a que quatre navires avec lui, et connaît quelques difficultés à Mombasa, avant de traiter avec Malindi et de rallier finalement Calicut en mai 1498.
D’autres expéditions suivent dans les premières années du XVIe siècle, mais beaucoup plus imposantes et surtout bien plus guerrières. De retour à Calicut en 1502, Vasco de Gama emploie cette fois les canons. Les Portugais bloquent l’entrée de la mer Rouge, la même année, en occupant Socotra, conduisant le sultan mamelouk à demander au pape Alexandre VI de faire pression sur Manuel Ier pour débloquer la situation ! Une flotte musulmane, aidée des Vénitiens, bat les Portugais à Chaul (Inde) en 1508 ; mais, l’année suivante, les musulmans sont à leur tour battus par une coalition regroupant les Gujaratis de Diu (golfe de Cambay) et les Portugais. Ces derniers ont alors les mains libres dans le golfe d’Oman, et peuvent enfin prendre Hormuz en 1515, grâce à Afonso de Albuquerque, déjà vainqueur à Goa en 1510 et Malacca en 1511.
Les Portugais ont trouvé face à eux essentiellement des musulmans. En effet, l’islam a progressé dans ces régions durant tout le XVe siècle, à la suite des Timourides, et jusqu’au Bengale et au Cachemire. C’est dans ce contexte qu’intervient Zahir ud-Din Muhammad, dit Babur. Né en 1483, descendant à la fois de Gengis Khan et de Tamerlan, il hérite du Turkestan en 1494. Trois ans plus tard, il conquiert Samarkand, qu’il doit pourtant céder aux Ouzbeks en 1501. Pas pour autant découragé, il s’attaque aux Afghans de la dynastie Lodi de Kaboul en 1504, avant de reconquérir Samarkand en 1511, allié au safavide Chah Ismaïl, l’ennemi juré des Ottomans rencontré plus haut. Les années suivantes sont contrastés pour Babur mais, son pouvoir consolidé, il parvient à mettre en place ce qui devient par la suite l’empire moghol des Indes.
Outre le puissant royaume de Malacca, apparu au début du XVe siècle, l’Asie du Sud-Est est constituée principalement de cités-Etats et de villes-ports, et de quelques royaumes inspirés du modèle Ming chinois, comme au Vietnam avec le règne de Le Thanh Tong (1460-1497).
Chine, Japon et Corée
L’Empire du Milieu connaît des bouleversements décisifs au coeur du XIVe siècle quand les Yuan, la dynastie mongole, est chassée du pouvoir par les Ming de Zhu Yuanzhang, dit Hongwu (1368-1398). La nouvelle dynastie, après quelques troubles de succession, se stabilise avec l’arrivée au pouvoir du quatrième fils de Hongwu, Yongle, qui mène une politique expansionniste, à l’image des expéditions de l’amiral Zheng He. Ses successeurs (Hongzhi et Zhengde) décident au contraire de replier la Chine sur elle-même et sa région immédiate, ce qui s’avère décisif dans l’histoire du Monde puisqu’au même moment les Européens, et en premier lieu les Portugais, investissent toutes les mers du globe (en 1517, Tomé Pires est ambassadeur du Portugal à Canton).
Immense territoire de plus de 100 millions d’habitants au début du XVIe siècle, l’Etat chinois se caractérise à partir de ce moment par un fonctionnement très bureaucratique, une réorganisation de l’armée (mais qui est affaiblie à la fin du XVe siècle), des empereurs lettrés mais engoncés dans le protocole, et le début de mutations économiques et culturelles qui ne donneront leurs fruits que dans la deuxième moitié du XVIe siècle. On peut donc considérer que le long XVe siècle chinois est sur de nombreux points à l’opposé du XVe siècle en Occident.
Au Japon, au début du XVe siècle, le shôgun Ashigaka Yoshimitsu reçoit de l’empereur Ming le titre de roi du Japon (1401), ouvrant ainsi le commerce avec la Chine, qui s’ajoute à la très active piraterie. Le Japon est alors dans la période dite Muromachi, et connaît dès la deuxième moitié du siècle des troubles entre le shôgunat et les seigneurs féodaux Daimyo, ce que l’historiographie japonaise appelle le gekokujo, qui mènent aux guerres d’Onin dans les années 1470. A cela s’ajoutent de grandes révoltes paysannes, provoquées en partie par des famines. Cela conduit au début du XVIe siècle à la création de ligues paysannes et guerrières, et à une totale déliquescence de l’Etat, que les Portugais notent en décrivant un pays éclaté en « royaumes » toujours en conflit. Cette situation dure toute la première moitié du XVIe siècle.
La Corée du XVe siècle, elle, connaît à la fois un essor économique et l’affirmation d’un pouvoir central avec la monarchie des Yi, ou de Choson (le Matin Calme), inaugurée par Yi Song-gye en 1392. A la fin du XVe siècle cependant, la monarchie commence à être contestée par les hauts fonctionnaires et les « conseils de censure », ce qui fragilise l’Etat. Sonjong (1469-1494), Yonsan’gun (1494-1506) et Jungjong (1506-1544) doivent régulièrement lancer des purges pour tenter d’affirmer leur autorité. La dynastie pacifie néanmoins ses relations avec ses voisins, la Chine des Ming en tête, et combat la piraterie japonaise, permettant sa transformation en force marchande. Dans toute la région, le commerce se développe et les mers asiatiques sont connectées comme une sorte de Méditerranée dans laquelle les Portugais s’intègrent habilement au cours du XVIe siècle.
Les Amériques en 1492
Le 3 août 1492, Christophe Colomb est parti pour son grand voyage. Le continent que le Génois et ses successeurs espagnols et portugais vont découvrir est loin d’être vierge. Au Nord, les historiens ont fait un découpage selon des aires géoculturelles, où les populations sont regroupées en tribus, avec tout de même la trace d’entités politiques quasi-démocratiques, comme les Iroquois. En Mésoamérique et en Amérique du Sud, les sources sont plus nombreuses. Si, au tournant du XVIe siècle, les Mayas n’ont pas disparu mais ne tiennent plus de cité puissante, les Aztèques (ou Mexicas) eux connaissent une situation contrastée. Empire puissant depuis les années 1480, ils n’en sont pas moins frappés par le doute à l’arrivée des Conquistadores en 1519. Au Sud, les Incas règnent sur un empire plus sûr de lui, organisé, fortifié, et qui continue à s’étendre.
Le continent découvert par les Européens, dans sa diversité, n’en est pas moins connecté pour une large part, même si la situation semble s’être dégradée dans la deuxième moitié du XVe siècle, avec par exemple une ignorance réciproque entre Aztèques et Incas. Cela va sans doute faciliter la conquête du XVIe siècle.
Le partage du monde sous l’œil du Pape
L’expansion des Ibériques a débuté dès le début du XVe siècle, et les historiens citent souvent la prise de Ceuta par les Portugais en 1415 comme détonateur. Des Portugais qui, isolés de la Méditerranée par leurs rivaux de Castille, se tournent logiquement vers l’Atlantique : Madère en 1420, les Açores entre 1427 et 1452, avant de s’intéresser aux côtes occidentales de l’Afrique. Dès les années 1440, les Portugais font du trafic d’esclaves et d’or, particulièrement à partir du Liberia, tout en installant des comptoirs en Mauritanie. En 1487, Bartolomeu Dias passe le cap de Bonne-Espérance, suivi dix ans plus tard par Vasco de Gama qui, avec ses successeurs comme Albuquerque, fait de l’océan Indien un lac portugais. A l’autre bout du monde, en 1500, Pedro Álvares Cabral (re)découvre ce qui sera le Brésil, après le bref passage de l’espagnol Vicente Yáñez Pinzón.
L’expansion outremer de la Castille n’a vraiment commencé qu’à la faveur de la prise de Grenade en janvier 1492, même si les Canaries sont occupées en partie dans les années 1480. Le génois Christophe Colomb atteint l’île de Guanahani en octobre 1492, mais ne touche le continent qu’en 1498, lors de son troisième voyage, toujours sans savoir qu’il s’agit d’un « Nouveau » monde. Les expéditions espagnoles continuent au XVIe siècle, avec la conquête de Puerto Rico (1508), Cuba (1511), puis bien sûr l’Empire aztèque à partir de 1519, sous le commandement d’Hernan Cortés.
Le monde de 1492 n’est donc pas concentré uniquement sur les enjeux européens et les rivalités entre quelques Etats, qui n’en sont pas toujours en plus. Au contraire, toutes les parties du monde connaissent des changements décisifs et surtout commencent à se connecter entre elles. Nous sommes déjà, à l’aube du XVIe siècle, dans une première mondialisation.
Bibliographie
- B. Vincent, 1492 : l'année admirable. Flammarion, 1997.
- P. Boucheron (dir), Histoire du monde au XVe siècle, Fayard, 2009.
- J-M. Sallmann, Le grand désenclavement du monde (1200-1600), Payot, 2011.