Adapté d’un roman jeune à succès de l’écrivaine britannique Rosemary Sutcliffe, publié en 1954, L’aigle de la neuvième légion nous entraine dans la quête d’un centurion romain et de son esclave dans l’Angleterre du IIe siècle de notre ère. Privilégiant les rapports humains et la beauté des décors naturels à l’action brute, le réalisateur Kevin Macdonald (Le dernier roi d’Écosse) livre un étonnant film avant tout porteur d’une réflexion politique. Brillant par moments, décevant à d’autres.
Synopsis de L'aigle et la Neuvième Légion
Jeune centurion tout juste formé, Marcus Aquila (Channing Tatum) n’a pas choisi une affectation tranquille, le voici à défendre sa peau dans un lointain camp dans la Bretagne romaine. Mais plus que sa vie, c’est à son honneur et à celui perdu de son père qu’il donne la priorité. Une vingtaine d’années plus tôt, la neuvième légion dirigée par son paternel a mystérieusement disparu en Calédonie, au delà du mur d’Hadrien où règnent les obscures et barbares tribus pictes. Pour réhabiliter son nom et effacer le déshonneur sur sa famille, Marcus, accompagné de son esclave breton Esca (Jamie Bell), décide de retrouver l’emblème disparu de la neuvième légion : son aigle doré.
La disparition de la neuvième légion
Qu’est devenue la neuvième légion ? A-t-elle réellement disparu au nord du mur d’Hadrien, massacrée par des tribus pictes ? Cette question du devenir de cette neuvième légion, également appelée la Legio IX Hispana, a longtemps fait débat chez les historiens antiques et continue de nos jours.
Probablement fondée par Jules César, elle se distingua durant la guerre des Gaules de 58 à 50 av. J.-C. où elle acquit une solide réputation. Elle intervint ensuite dans la lutte opposant César à Pompée, puis sous les ordres d’Octave. Participant à son combat contre Marc-Antoine – qui s’achèvera en 31 av. J.-C. à la bataille d’Actium –, la neuvième légion se distingua dans la Péninsule ibérique, ce qui lui valut certainement le surnom d’Hispana. Nous retrouvons ensuite sa trace tant sur les bords du Rhin contre les tribus germaniques qu’en Pannonie – actuelle Hongrie –.
Dans les années 40 de notre ère, c’est à la conquête de la province de Britannia – l’Angleterre, le Pays de Galle et le sud de l’Écosse actuels – qu’elle s’illustre, pacifiant le nord dans les années 50 et surveillant la frontière en étant cantonnée à York jusque début 70. Par la suite, les informations qui nous sont parvenues sont plus parcellaires, nous avons toutefois une trace de sa présence à Nimègues en 121 et sa disparition eu probablement lieu dans l’est de l’empire romain, peut être contre les Parthes vers 161. Toujours est-il que les conditions de cette disparition reste débattues. A-t-elle été massacrée ? Démobilisée ? Une chose demeure néanmoins certaine, le fait comme quoi elle aurait disparu en Bretagne, au nord du mur d’Hadrien n’est en rien attesté et demeure peu vraisemblable à la lumière des récentes recherches.
Il s’agit pourtant du postulat de ce film qui fait suite au récent film de Neil Marshall, Centurion, sorti malheureusement bien trop discrètement sur nos écrans en 2010 et relatant le massacre de cette neuvième légion par les tribus pictes et la traque d’un groupe de rescapés romains. La disparition de la neuvième légion telle qu’elle est présentée dans ces deux films apparait donc fictive. Quant à son symbole, il n’est pas attesté qu’il s’agisse d’un aigle mais plutôt d’un taureau, symbole des légions fidèles à César. L’histoire n’est donc guère a priori au rendez-vous de ce film qui cache pour autant quelques bonnes surprises.
Un message politique
Là où Centurion de Neil Marshall étonnait, se révélant plus comme un jouissif et sanglant survival movie qu’un péplum, L’aigle de la neuvième légion étonne également. Le réalisateur Kevin McDonald a pris le choix de s’éloigner de la grosse production hollywoodienne, tel Gladiator pour rester plus modeste et faire passer une réflexion politique.
Ce film se révèle en effet être une critique de l’impérialisme américain à travers le miroir de l’impérialisme romain. Notons à cet effet que les Romains sont tous interprétés par des Américains alors que les celtes sont joués par des Anglais. Et ce choc des civilisations et des cultures est avant tout représenté par ce duo antagoniste et complémentaire du centurion romain et de son esclave breton un duo bien interprété et dont la relation gagne en ambivalence tout au long du film.
Vers le documentaire anthropologique ?
Parallèlement au message politique laissé par Kevin McDonald, nous assistons également à un film qui se voudrait volontiers documentaire anthropologique. Plus qu’un péplum, il s’agit d’un film relatant l’histoire de deux personnes de cultures différentes qui s’enfoncent dans un dangereux et mystérieux inconnu. Soumis aux forces hostiles de la nature, ils doivent lutter pour leur vie suivant un chemin régressif qui peut rappeler par certains aspects Le 13e guerrier de John McTiernan.
Tout au long de son film, le réalisateur a cherché à garder une authenticité historique et anthropologique. Mais paradoxalement, ce souci d’authenticité ne fait que l’en éloigner. En effet, en raison du peu de sources existants sur les pictes, le réalisateur a décidé par exemple de les faire parler en gaëlique, ce qui n’était pas leur langue. Pour leur habitation, leur mode de vie et d’habillement, le réalisateur a cherché à se rapprocher des peuples vivants dans des zones froides et difficiles comme les Inuits, d’où ce côté parfois quelque peu documentaire du film. Pour autant la création et l’inventivité ont également été des mots d’ordres pour compenser cet inconnu historique. En somme, les guerriers pictes ressemblent plus à des guerriers africains ou indiens. Nous noterons au passage la présence de Tahar Rahim (Un Prophète), méconnaissable en prince picte. Toutefois, ce ne sont là que quelques détails face au principal intérêt du film : ces décors naturels.
Envoûtants paysages écossais
Si la première partie du film a été tournée en Hongrie, tous les éléments du film se situant au nord du mur d’Hadrien – soit la seconde moitié du film – ont été tournés en Écosse. Et la dimension documentaire resurgit alors lorsque nous découvrons la beauté des paysages qu’il s’agisse des fameux Highlands, des envoûtantes forêts dignes d’un conte de fées ou des plages du nord de l’Écosse. La nature est véritablement l’un des personnages principaux de la seconde partie du film, magnifiée par la photographie Anthony Dod Mantle qui peut parfois rappeler celle de Valhalla Rising, le guerrier silencieux.
L’aigle de la neuvième légion se révèle un film trompeur. Il ne s’agit pas d’une grosse production faisant la part belle à l’action. Si les actes de bravoures et d’héroïsmes sont bien présents, ils sont souvent relégués au second plan face aux rapports entre le maître romain et son esclave breton mais également face à la très belle photographie de ce film. Kevin Macdonald s’intéresse ainsi plus aux relations humaines et à la nature qu’aux batailles. C’est donc une réalisation humble et emplie de finesse rejetant le tout – trop – spectaculaire. Un parti pris intéressant mais qui ne séduit cependant qu’à moitié, en cause un scénario très linéaire, une mise en scène pas toujours bien exploitée et un certain manque d’originalité pour au final, un film simplement correct.
L’Aigle de la Neuvième Légion, de Kevin Macdonald, en DVD et Bluray.