C'est un lieu commun de penser que les gens à la cour du roi Louis XIV étaient sales, que les courtisans s’oubliaient derrière les tapisseries et les recoins du château de Versailles ou encore que l’on se parfumait à outrance pour cacher les mauvaises odeurs corporelles. Ce ne sont que des rumeurs, apparaissant au XIXe siècle avec la naissance de l’hygiène moderne. Non, le roi ne faisait pas ses besoins en public, et bien sûr que oui, on s’occupait d’hygiène sous Louis XIV !
L’eau : les rumeurs et son usage au XVIIe siècle
Une rumeur raconte que le roi soleil ne prit qu’un bain au cours de sa vie ! Quelle ineptie !
A cette époque, le corps médical pensait que l’eau était mauvaise pour le corps lors des ablutions, car elle entrait dans les pores et corrompait les organes internes, comme le mentionne Théophraste Renaudot en 1655 « le bain extermine le corps et emplit la tête des vapeurs ». Une fois l’eau bien arrivée et installée à Versailles et à la Cour en 1682, des analyses furent établies par l’Académie royale des sciences, transmises à Colbert, déclarant l’eau bonne à boire. Varin, dans sa soutenance de thèse à l’école de médecine explique aussi en mars 1685 « l’argument le plus solide qui prouve que Versailles est une ville saine, c’est la florissante santé de ses habitants ; donc la ville de Versailles est salubre ».
L’eau était déjà présente en 1629 dans le petit château de cartes de Louis XIII, provenant des sources de Bailly et Rocquencourt. Comme Louis XIV voulait ce qu’il y a de mieux pour son palais, il demandait à disposer des commodités nécessaires, à commencer par l’arrivée de l’eau et l’installation de l’eau courante. Pendant de nombreuses années, le roi a tout entrepris, les fontaines et jeux d’eau en témoignent. Et soucieux des habitants de la ville, il s’est également inquiété de la distribution de l’eau chez les riverains afin qu’ils puissent se livrer à leur ablution. C’est ainsi qu’en 1680, on dénombre onze fontaines dans la ville.
La propreté à la Cour de Versailles
Pour éviter d’utiliser l’eau pour ses ablutions, puisque la rumeur est tenace, beaucoup de courtisans étaient adeptes de la toilette sèche, c'est-à-dire se laver le visage et les mains avec un linge humide. A la cour, la propreté se manifeste surtout par le port de linge blanc, mais les parties visibles du corps devaient être nettes « avoir soin de se tenir la tête nette, les yeux et les dents dont la négligence gâte la bouche et infecte ceux à qui nous parlons, les pieds surtout en été pour ne pas faire mal au cœur à ceux avec qui nous conversons ». Ainsi les coffres des chambres, fermés à clé, étaient remplis de linge blanc en particulier de chemises et l’on se changeait régulièrement, au moins cinq fois par jour, pour paraitre net !
Quarante ans avant, sous Louis XIII, des traités de bienséance et de civilité existaient déjà, mentionnant la netteté et la propreté des courtisans, avec un chapitre sur la bonne haleine. On s’en souvient, Madame de Montespan était réputée pour sa saine et belle dentition, même si le roi eut beaucoup de problèmes de dents : abcès, suppression de la mâchoire supérieure, cautérisation par quatorze fois au bouton de feu.
Dans un souci de propreté, le roi qui dans sa jeunesse adorait prendre des bains de rivière, fit construire un appartement des bains entre 1671 et 1680. Les valets poussaient une baignoire sur roulette dans sa chambre, l’eau étant chauffée d’abord par les Officiers de Fourrière et versée par une foule de porteurs d’eau.
Les courtisans logeant au château disposaient d’un cabinet et parfois d’une garde robe « la petite chambre, à côté de l’endroit où l’on dort ». Dans ce cabinet, il y avait la chaise de commodité, une table recouverte d’une toile (d’où le nom toilette), avec tous les ustensiles nécessaires : crèmes, onguents, fards, pommades, essences, mouches, peignes, etc. ainsi que les bassins à laver les mains et la barbe, des miroirs, sans oublier la fontaine conservant l’eau nécessaire pour la journée. L’eau courante était quand même assez limitée, les porteurs d’eau se chargeaient de remplir les bains et fontaines.
Pour les non-résidents, ceux que l’on nommait les galopins, le roi autorisa la création de bains publics dans la ville dès 1671.
Les lieux d’aisance
C’est justement à cause des travaux entrepris par Louis Philippe à Versailles qu’il n’y a plus trace de ces endroits et les Mémoires écrites n’insistaient pas sur ces endroits ! N’ayant pas de vestiges, on pense donc à un lieu sale, même si effectivement certains visiteurs donnent raison à la rumeur, comme l’évêque de Noyon, ayant une envie pressente, qui se mit à uriner à travers la balustrade, dans la vieille chapelle. Le Suisse de garde fut très surpris du bruit d’une chute d’eau dans cet endroit pieux et en averti immédiatement Bontemps, le premier valet de chambre du roi. D’autres personnages n’étaient pas en reste, comme le raconte la princesse Palatine au sujet du duc de La Rochefoucauld ou le duc de Vendôme réputé pour ses grossièretés, n’hésitant pas à mêler bassin à barbe et bassin d’aisance, recevant toujours sur sa chaise d’affaires.
Alors même s’il est de notoriété publique que le roi Louis XIV recevait sur sa chaise percée, c’était pour être accessible à ses sujets. Mais pour être tranquille, il avait fait aménager dès 1672 un lieu à l’écart, pour ses besoins naturels, appelé cabinet de la chaise, avec le plus beau matériel « afin que cela ne fasse point un mauvais effet ». Soucieux du confort intime de son épouse, il fit aussi installer un coin d’intimité pour Mme de Maintenon ; il en est de même pour tous les invités que le roi recevait et avait prévu assez tôt ces endroits, qui existaient déjà du temps de Louis XIII, obligatoires d’ailleurs pour tout propriétaire de maisons. Mais le nombre de visiteurs étaient considérables, et malgré plusieurs endroits de commodités, c’était bien insuffisant : les visiteurs s’abandonnaient donc dans les couloirs.
Les chaises dites « à l’anglaise » apparaissent sous Louis XV, avec système de chasse d’eau dès 1727. Mais jusqu’à cette époque, l’évacuation des eaux usées se faisait par deux porte-chaises d’affaire au service du roi, s’occupant aussi des autres princes et courtisans qui transportaient le contenu dans une fosse d’aisance, créée pour que le château et les jardins ne reçoivent pas ces déjections.
D’après l’inventaire des Meubles de la Couronne, il y aurait eu plus de 350 chaises d’affaires entre 1664 et 1705 ainsi que plus de 34 fosses d’aisance, reliées à un système d’égout pour évacuer ces eaux usées, se déversant au sud dans l’étang des Marais et au nord dans celui de Clagny, finalement comblé en 1736 pour cause de mauvaises odeurs. Ainsi on ne déversait plus les seaux par la fenêtre, comme il était encore bien souvent d’usage dans Paris.
Ce n’est que sous Louis XV et Louis XVI que des endroits spécifiques furent installés pour la toilette : les salles de bain.
Pour aller plus loin
- Le Versailles de Louis XIV – Mathieu da Vinha. Tempus, 2012.
- Le propre et le sale, hygiène du corps depuis le Moyen âge,de Georges Vigarello. Points Histoire, 2014.