En l’an 843, Charles le Chauve (823, 877) dernier fils du roi Louis le Pieux (778, † 840), réunit un plaid général de tous les dignitaires de son nouveau royaume, le Francie Occidentale. La rencontre se déroule à Germigny-des-prés, commune classée au patrimoine mondial de l'Unesco.
Au royaume de Charles le Chauve
Ce royaume lui échoit suite à la partition entérinée lors du Traité de Verdun (843) et qui partage les terres de l’Empire Franc entre ses deux frères et lui-même :
• Louis dit le Germanique reçoit la partie orientale de l’Empire, la Francie Orientale : la Bavière, les provinces d’Alémanie et de Franconie ainsi que la Saxe ;
• Charles reçoit les terres situées à l’ouest de la ligne Escaut-Meuse-Saône-Rhône, soit la Francie Occidentale, l’Aquitaine, la Septimanie ;
• Lothaire reçoit un royaume enserré entre les deux parts de ses frères, la Francie Médiane, qui va de la Frise à la Provence en incluant la Lotharingie et l’Italie. Il a de plus le titre d’Empereur et son royaume englobe les deux capitales de l’Empire, la capitale politique Aix et la capitale religieuse Rome.
Contrairement à ses deux frères, Charles reçoit des terres sur lesquelles il n’a encore jamais régné. Ce plaid qui réunit évêques, abbés et comtes de son royaume a pour but d’asseoir son autorité qui a été rapidement contestée par les Aquitains et les Bretons et aussi de confirmer des privilèges octroyés par ses prédécesseurs. Ainsi, l’unique source existante sur ce plaid est-il un diplôme octroyé lors de cette réunion à l’abbaye de Moutiers-Saint-Lomer, reconduisant des privilèges accordés aux moines par Louis le Pieux. La réunion se tient dans la résidence de Germigny-des-Prés de l’évêque Théodulf : cette résidence est située à la jonction des quatre grandes régions dont le gouvernement est dévolu à Charles : La Neustrie, la Francie, la Bourgogne et l’Aquitaine.
L’évêque Théodulf : le modèle du poète, érudit et théologien carolingien
Théodulf d’Orléans est né vers 755 en Espagne. D’origine wisigothique, sa famille s’établit vers 780 en Septimanie. Le jeune homme se consacre peut-être à l’abbaye d’Aniane aux études du Grec et du Latin et devient enseignant en Italie. Intellectuel, poète et théologien, sa renommée parvient aux oreilles de Charlemagne qui l’accueille à sa cour. Il fait partie aux côtés d’Alcuin, d’Eginhard et Paul Diacre à l’Académie palatine.
L’académie Palatine est un cercle de lettrés dont Charlemagne s’entoure à partir de 782 et dans lequel le roi des Francs prend le pseudonyme de « Roi David ». Ce groupe a longtemps été animé par le poète et théologien Alcuin qui est à l'initiative de sa fondation. Missus Dominicus de Charlemagne, Théodulf est nommé évêque d’Orléans en 797 et il est également abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, de Saint-Aignan à Orléans, de Micy à Saint-Mesmin et de Saint-Liphard à Meung-sur-Loire.
Les envoyés du maître, missi dominici, sont chargés d’inspecter la gestion du comte. Ils sont au minimum deux, un évêque ou un abbé et un comte, assistés éventuellement par quelques membres. Nommés par le roi, ils inspectent un ensemble de comtés dont la liste est fournie au moment de leur nomination et reçoivent lors de leur tournée, des instructions spécifiques consignées dans des capitulaires d’instructions aux missi. Ils s’assurent que les ordres du roi sont respectés, que les capitulaires sont appliqués. Par ailleurs, ils président le tribunal comtal à la place du comte, quatre fois par an, en janvier, en avril, en juillet et en octobre. Si besoin, ils approuvent la nomination des nouveaux membres du tribunal. En 804, il devient le conseiller théologique de l’empereur, à la suite d’Alcuin.
Admis dans le cercle des lettrés de Charlemagne, il participe à la réforme de l’enseignement et crée plusieurs écoles dans l’Orléanais qu'il organise en trois niveaux : les écoles paroissiales gratuites, les écoles épiscopales de niveau secondaire et les écoles monastiques réservées aux cadres de l'Empire. Au sein de l’abbaye de Saint-Benoît, il crée deux écoles monastiques, une à l’extérieur pour le clergé séculier, l’autre à l’intérieur pour le clergé régulier. Le scriptorium de cette abbaye et le scriptorium de Saint-Aignan produisent sous sa direction plusieurs œuvres remarquables dont des Bibles, six d’entre elles étant parvenues jusqu’à nous.
Poète, il compose également des hymnes, dont l’un, « Gloria Laus », est toujours chanté à Orléans et Germigny-des-Prés, lors de la procession des Rameaux.
C’est également un théologien et un homme politique qui œuvre au nom de Charlemagne. Il rédige à ce titre plusieurs textes dont notamment :
• un manifeste intitulé appelé Libri Carolini, texte écrit au nom de Charlemagne et dans lequel il fustige la pratique de l'adoration des images, suite aux conclusions du Concile de Nicée II qui autorise de nouveau l’utilisation des images.
• des capitulaires portant notamment sur la discipline ecclésiastique stipulant que les prêtres doivent se consacrer à la lecture et à la prière, qu’ils doivent respecter le célibat et avoir une réelle formation religieuse et intellectuelle.
• des traités de théologie dont l’un sur le Saint-Esprit et l’autre sur le Baptême. (« De Spiritu sancto » « De ordine baptismi »)
En janvier 814, Charlemagne décède et son fils Louis le Pieux lui succède. Théodulf accueille le nouvel empereur à Orléans en février, mais trois années plus tard, il tombe en disgrâce et est emprisonné, soupçonné d’avoir soutenu Bernard d’Italie dans sa révolte.
Bernard d’Italie (797, †818) est un fils illégitime de Pépin, troisième fils de Charlemagne. Celui-ci est roi des Lombards et gouverne l’Italie depuis 812. Mais la reine Ermengarde pousse alors son époux Louis le Pieux à lui retirer ses titres. Bernard se révolte entraînant avec lui plusieurs hauts dignitaires de l’empire. Vaincu, il est tout d’abord condamné à mort, puis la peine est commuée en aveuglement. Bernard décède trois jours plus tard des suites de son supplice.
Les hauts dignitaires ayant soutenu Bernard sont destitués. Théodulf en fait partie, bien qu’il nie toute implication dans la révolte. Emprisonné, il décède en 821 à l’abbaye Saint-Aubin d’Angers où il était relégué.
La résidence de Germigny-des-Prés
Cette résidence est une villa carolingienne, une « maison de campagne » magnifiquement décorée, composée d’une église, de bâtiments d’habitation et de dépendances. La dédicace située dans l’église permet de dater la construction comme antérieure à l’année 806. Elle se situe sur les terres de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Construite alors que Charlemagne fait lui-même édifier les bâtiments du palais d’Aix la Chapelle et notamment la chapelle palatine, cette résidence est à l’époque renommée pour sa magnificence. A la suite de sa destitution, tous les biens de Théodulf sont confisqués. Le domaine est incendié en 856, sans doute par les Vikings qui pillent les monastères voisins.
Il ne reste de nos jours de ce domaine que l’oratoire qui est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce bâtiment est formé par un carré de dix mètres de côté au centre duquel quatre piles forment la base d’une tour lanterne. Les quatre carrés adjacents à ce carré central sont surmontés de voûtes en berceau et prolongés par des absidioles, le tout formant les bras d’une croix grecque.
Figure 4 : Oratoire de Germigny (Photos P. Gouin)
La richesse de ce bâtiment réside notamment dans la mosaïque sur fond d’or qui orne le cul-de-four de l’abside orientale et qui date du IXe siècle. C’est la seule de ce type existant en France. Elle est composée de tesselles de verre bleu cobalt, bleu ciel, vert bouteille, gris vert, jaune crème, or, argent et noir.
Cette mosaïste est aussi intéressante quant au sujet qu’elle représente. En effet au lieu de figurer, comme dans la tradition byzantine, la Vierge trônant avec le Christ sur les genoux, elle montre l’arche d’alliance entourée de deux archanges vêtus de costumes antiques entre lesquels apparaît la main de Dieu. Elle s’inscrit ainsi dans la querelle iconoclaste qui déchire Occident et Orient à cette période-là et montre la position de Théodulf à ce sujet : il n’est pas bon de représenter les divinités avec une figure humaine dans les églises, car les fidèles peuvent alors les vénérer et tomber dans l'idolâtrie.
La frise du soubassement de la mosaïque est bleue et porte une inscription en lettres d’argent « Vois ici et contemple le saint oracle et ses chérubins : ici resplendit l'arche du testament divin. Devant ce spectacle, efforce-toi de toucher par les prières le Maître du tonnerre ; et ne manque pas, je t'en prie, d'associer Théodulfe à tes vœux ».
Bibliographie
• Jacques-Henri Bauchy, « Les premiers États généraux français à Germigny-des-Prés, en septembre 843 », Bulletin de la société archéologique et historique de l'Orléanais, t. V, no 40, 1970, p. 361-364
• Louis Baunard, Théodulfe, évêque d'Orléans et abbé de Fleury-sur-Loire. Orléans, C. Douniol, 1860.
• J. F. Bradu, Lumières de l'an mil en Orléanais. Autour du millénaire d'Abbon de Fleury : Une nouvelle lecture de la mosaïque de Germigny-des-Prés, Brépols (catalogue d'exposition du Musée des Beaux-Arts d'Orléans), 2004, p. 126-128